Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances, et Emmanuel Macron, à l'Elysée, le 31 août 2022. - Photo Sipa Press

Finances publiques

Réduire la dépense publique n’est pas tâche aisée avec un Président qui ne veut pas enquiquiner les Français, hésite et renonce souvent à des mesures d'économies.

L'Opinion - 27 septembre 2023 - Par Corinne Lhaïk et Marc Vignaud

Si Matignon est réputé être un enfer pour son locataire, Bercy n’est pas un paradis pour ses occupants. Depuis 2017, quatre ministres de l’Action et des Comptes publics se sont succédé (Gérald Darmanin, Olivier Dussopt, Gabriel Attal, Thomas Cazenave), un ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a résisté. Tous souffrent ou ont souffert. Leur principal ennemi s’appelle Emmanuel Macron. Tandis qu’ils s’efforcent de vider l’océan des déficits à la petite cuillère, le chef de l’Etat le remplit à coups de camions-citernes. Par doctrine, par tempérament, par souci politique, Emmanuel Macron n’est pas un acharné de la réduction des dépenses. Il s’y soumet pour respecter les lois de l’Europe et celles des marchés.

Bruno Le Maire est un ministre parfaitement en ligne avec la politique pro-business du Président, la baisse des impôts en faveur des entreprises, la réindustrialisation, l’affirmation de la souveraineté française. Mais il porte une croix, la réduction de la dépense publique. Chaque proposition d’économie est un sujet de négociations, d’hésitations, d’allers-retours. Il arrive qu’Emmanuel Macron dise non à un ministre, puis oui. Souvent, des décisions sont arrêtées, mais 24 heures avant leur annonce, le chef de l’Etat change d’avis. L’Elysée appelle Bercy : « Le PR hésite… »

Arbitre. Quand le Président dit oui, ce n’est pas pour rien. La loi de programmation militaire (2024-2030) prévoit 413 milliards euros. Sur ce total, le financement de 13 milliards est incertain. Avec l’appui de Sébastien Lecornu, ministre des Armées, les LR obtiennent la sécurisation de cette somme. L’arbitre ultime a donné raison au ministre des Armées. Bercy enrage : il cherche à grappiller des millions et on lui impose une grosse louche de milliards. Réponse de l’Elysée : on ne mégote pas avec la défense du pays.

En matière de finances publiques, le Président a une doctrine en deux points.

A lire aussi: LR veut être le parti de la baisse des impôts

Economique, d’abord : « Sa grille d’analyse est influencée par les erreurs des précédents quinquennats, par exemple, le resserrement budgétaire à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy et au début de celui de François Hollande pour corriger les déficits, analyse David Amiel, député Renaissance. Il estime au contraire qu’il faut accepter les déficits en période de conjoncture basse et réajuster en période de reprise forte comme en 2017-2019. En 2020, il y a le quoi qu’il en coûte. Aujourd’hui, il pratique une politique intermédiaire entre les deux attitudes, car la conjoncture est entre deux eaux. »

Politique ensuite. Emmanuel Macron ne veut pas enquiquiner les Français. Donc, il préfère les grosses rivières aux petits ruisseaux. « Il refuse les coups de rabot et veut des politiques qui rapportent des économies structurelles comme la réforme des retraites ou celle de l’assurance-chômage », poursuit David Amiel.

Volontarisme. Le traumatisme des aides personnalisées au logement (APL) fait aussi son œuvre. En 2017, Emmanuel Macron réduit de cinq euros le montant de cette allocation et sculpte son image de président des riches. La construction du budget 2024 porte les traces de ce péché originel. Bercy prévoyait d’augmenter la taxation des alcools. Emmanuel Macron décide d’abandonner cette piste. Il fait de même pour celle sur les billets d’avion et pour l’augmentation du nombre de jours de carence, destinée à freiner les absences pour maladie. La réduction du nombre d’emplois aidés pour 2024 est un rude combat. Et encore, le budget de l’année prochaine n’est pas le plus ardu : sur les 16 milliards d’économies, 14 sont obtenus en débranchant des mesures exceptionnelles (le bouclier tarifaire pour l’électricité). L’an prochain, il faudra trouver 12 milliards d’économies pérennes. Au minimum. « Il y a un volontarisme du Président qui veut croire que ses réformes vont payer, qu’elles vont se traduire par de la croissance permettant de financer ses politiques publiques prioritaires sans prendre de risque social », affirme un député de la majorité en vue.

Quelques cordes de rappel retiennent Emmanuel Macron. L’Europe est un puissant antidote. En 2017, le nouveau chef de l’Etat fait des efforts pour sortir la France de la procédure de déficit excessif et ramener les déficits publics sous la barre des 3 %. Les réactions des marchés financiers lui donnent à réfléchir : en octobre 2022, n’ont-ils pas provoqué la démission de la Première ministre britannique, Liz Truss, qui promettait des baisses d’impôt et des augmentations des aides (massives dans les deux cas), en creusant la dette ? Les agences de notation, enfin, veillent. Le 2 juin, la France échappe à une dégradation par Standard and Poor’s. Mais S&P maintient une perspective négative et fixe un nouveau rendez-vous pour décembre.