Pierre Moscovici. - Photo Sipa press

Budget

Le président du Haut conseil des finances publiques, également à la tête de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, alerte sur l’envolée de la charge d’intérêt.

L'Opinion - 27 septembre 2023 - Par Marc Vignaud

Dans son avis sur le projet de budget 2024, le Haut conseil des finances publiques estime que la prévision de déficit public pour 2024, de 4,4 % du PIB, « conjugue principalement des hypothèses favorables et paraît optimiste ».

Vous dites que le budget 2024 conjugue les hypothèses favorables et est optimiste… c’est un euphémisme pour dire qu’il est irréaliste ?

Notre langage est précis. Nous disons qu'à 1,4%, la prévision de croissance pour 2024 est élevée. Elle est plus élevée que celle de la Commission européenne, beaucoup plus haute que le consensus des économistes (+0,8 %) et surtout que celle de la Banque de France (+0,9 %). Le gouvernement est plus optimiste que tous les organismes que nous avons auditionnés sur l’investissement, la consommation ou les exportations. Sa prévision suppose que la hausse des taux d’intérêt a déjà produit l’essentiel de ses effets, en particulier sur l’investissement des ménages, ce qui est très discutable. Mais cela reste atteignable, compte tenu de l’incertitude qui entoure la prévision économique en ce moment.

Depuis que le gouvernement vous a adressé son projet de budget, Emmanuel Macron a déjà annoncé un nouveau chèque carburant...

Cette mesure devrait coûter aux alentours de 0,5 milliard. Ce n’est pas considérable. Si ce coût est confirmé, il faudra trouver les financements pour maintenir le déficit au niveau prévu. Mais un tel geste ne saurait être assimilé au rétablissement du « quoi qu’il en coûte ».

"Il faudra trouver 12 milliards d’économies pérennes par an".

Le gouvernement promettait de faire beaucoup d’économies aux assises des finances publiques. Depuis, l’ambition a été revue à la baisse…

Malgré le premier millésime des revues de dépenses qui n’ont, pour l’essentiel, pas été publiées, le projet de loi de finances contient peu de mesures structurelles. Sur 16 milliards d’économies présentées, une douzaine provient du retrait des mesures exceptionnelles prises face à la crise de l’énergie et la crise Covid. Pour les années suivantes, la marche sera beaucoup plus difficile à franchir. Il faudra trouver 12 milliards d’économies pérennes par an. En dehors de la réforme des retraites et de l’assurance chômage, ces économies sont peu documentées.

Le poids de la dette rogne les marges de manœuvre…

Oui, elle croît de manière spectaculaire. Elle était de 31 milliards en 2021, atteindra 57 milliards en 2024 et 84 milliards en 2027 ! Pour la première fois, elle dépassera le budget de l’Éducation nationale. Beaucoup de dépenses ont par ailleurs été gravées dans le marbre avec les lois de programmation sectorielles comme celle de la Défense. Hors charge d’intérêt, les dépenses devront quasiment être stabilisées, à +0,1 % par an, alors que durant les années les plus économes des deux dernières décennies, de 2010 à 2014, elles ont progressé de 0,9 % par an. L’effort à réaliser est sans précédent.

"À ce rythme, nous ne reviendrions pas sous 60 % de dette publique avant 50 ans"

Et pourtant, la France prend son temps pour réduire son endettement…

La trajectoire de réduction du déficit et de la dette d’ici 2027 reste en effet peu ambitieuse au regard de nos engagements européens. La dette publique baisserait de moins de quatre points entre 2022 et 2027. À ce rythme, nous ne reviendrions pas sous 60 % de dette publique avant 50 ans ! Avec 2,7 % de déficit en 2027, la France serait le dernier pays européen, avec la Slovaquie, à passer sous 3 %. Cela marque une dégradation de notre position relative dans la zone euro.

La revue des dépenses du gouvernement a accouché d’une souris ?

Il y a une vraie inflexion et une prise de conscience que je salue, avec un changement de méthode. Mais il faut aller plus loin. Une vraie revue solide et crédible ne peut se résumer à des analyses techniques en vase clos. Elle doit s’inscrire dans la durée et responsabiliser l’ensemble des acteurs : l’État, ses opérateurs, mais aussi la Sécurité sociale et les collectivités locales. Elle doit toucher les dépenses d’investissement comme de fonctionnement. En procédant ainsi, les 12 milliards d’économies sont tout à fait faisables. Beaucoup de pays ont fait plus sans pour autant affaiblir leurs services publics. Si on reste dans la logique française soit du rabot, qui coupe tout un peu ; soit du coup de marteau, qui frappe ici ou là, ce sera plus compliqué.

Augmenter les franchises sur les boites de médicaments, c’est un coup de rabot sur les dépenses de santé ou c’est nécessaire ?

Je ne porte pas jugement sur la nécessité de le faire ou pas, car nous ne faisons pas de politique, mais cela peut être considéré comme une économie structurelle. De manière plus générale, il faut soulever le capot des politiques publiques pour investir sur ce qui marche et économiser sur ce qui ne marche pas. C’est ce que nous avons montré dans nos neuf notes thématiques. La politique du logement coûte, par exemple, deux fois plus que dans la zone euro. Quels sont ses résultats ? La construction ? Nous sommes dans une crise sans précédent. Le logement social ? Il faudrait augmenter la rotation dans le parc social. Même si ce n’est pas à moi de dire comment, il faudrait sans doute repenser cette politique dans son ensemble.

"La dette publique est l’ennemi du service public"

Une grande partie de la gauche vous accuse d’être austéritaire…

Gardons raison ! La France a-t-elle jamais connu l’austérité ? Je constate qu’elle n’a pas présenté un seul budget en équilibre depuis 50 ans. La dépense publique dans le PIB atteint 56%, un des taux les plus élevés du monde, huit points au-dessus de la moyenne de la zone euro. Nous avons une préférence collective pour la dépense publique plus marquée que partout ailleurs. Si avec un tel niveau de dépense publique, on parle d’austérité, c’est que les mots n’ont plus de sens. Par habitant, la dépense publique a augmenté de 28 % depuis le début des années 2000. Je n’ai jamais été partisan de l’austérité, qui est récessive et crée des inégalités insupportables. Mais il y a un décrochage de la qualité des dépenses publiques. Dans l’Éducation, nous ne cessons de reculer dans les tests Pisa de l’OCDE. Nous avons à la fois des besoins d’investissement non satisfaits et des gisements d’économies. Sur la dépendance et les EHPAD, la Cour des comptes a montré qu’il manquait 1 à 2 milliards par an. Qu’on soit de gauche ou de droite, chacun devrait reconnaître que nous ne pouvons pas vivre très longtemps avec ce niveau de dette et que la qualité de la dépense publique est défaillante. La dette publique est l’ennemi du service public. Quelle dépense publique est plus inutile que 84 milliards d’euros consacrés au remboursement de la dette ? C’est autant d’argent en moins pour financer la transition écologique. Désendettons-nous pour investir dans l’avenir !

Un rapport du Collectif nos services publics, dont un magistrat de la Cour des comptes, Arnaud Bontemps, porte la parole, explique la dégradation des services publics par l’écart croissant entre les besoins et les moyens financiers qui y sont alloués…

C’est un think tank composé de fonctionnaires issus de plusieurs administrations. Chaque magistrat qui s’engage dans le débat public est par ailleurs le bienvenu, à condition de s’assurer qu’il ne s’exprime pas en tant que magistrat de la Cour. La démarche est tout à fait intéressante, mais je ne pense pas que nous puissions nous offrir le luxe d’augmenter encore la dépense publique. Beaucoup de dépenses publiques peuvent être remises en cause sans dégrader la qualité des services publics. C’est au contraire un gisement pour financer les besoins sociaux des Français.