Renaud Girard. Jean-Christophe MARMARA

International

En raison des surenchères antichinoises qui scanderont la campagne électorale, les États-Unis ne pourront servir de médiateur entre la Chine et Taïwan. À l’Europe, dès lors, d’exercer ce rôle.

Figaro Vox - 16 janvier 2024 - Par Renaud Girard

Sur l’île de Taïwan, grande comme une fois et demie la Sardaigne, a eu lieu, le 13 janvier 2024, un scrutin au suffrage universel qui a passionné la terre entière. Cette élection démocratique visait à renouveler le président de ce qui s’appelle encore la République de Chine, ainsi que les 113 députés du Parlement monocaméral taïwanais. Elle s’est déroulée dans l’enthousiasme et le calme, avec un électorat nullement intimidé par la vaste ombre du grand voisin, la Chine communiste, où toute opposition politique est immédiatement réprimée.

C’est l’ancien vice-président, William Lai, un médecin de formation, qui a été élu à la charge suprême, offrant une troisième victoire consécutive au parti démocratique progressiste, lequel est ouvertement indépendantiste. Les hiérarques du parti communiste de Pékin n’ont pas dû apprécier que M. Hou, le candidat du Kuomintang, l’ancien parti de Tchang Kaï-chek (l’ancien leader nationaliste chassé du continent par les maoïstes en 1949 et réfugié sur l’île de Formose), très attaché à la notion d’unicité de la Chine, ait accusé dix points de retard dans les urnes.

Follement acclamé par ses partisans, M. Lai a eu la sagesse de ne pas faire le fier-à-bras dans son discours de victoire, usant d’un ton conciliant avec la Chine continentale et appelant au dialogue avec elle. Il a ajouté qu’il s’abstiendrait de proclamer l’indépendance du pays – qui existe de facto depuis trois générations -, laquelle fait figure de chiffon rouge pour le parti communiste chinois. La politique de M. Lai sera celle du maintien du statu quo : Taïwan continuera à s’administrer elle-même comme elle l’entend, sans toutefois aller jusqu’à proclamer solennellement son indépendance. Le 14 janvier 2024, le président des États-Unis, principal soutien militaire et politique de l’île, a lui-même réaffirmé qu’il n’était pas favorable à une telle indépendance.

Lorsque, suivant l’exemple du général de Gaulle en 1964, les puissances occidentales se mirent à reconnaître diplomatiquement la Chine communiste, elles approuvèrent le principe qu’il n’y avait qu’une seule Chine. Mais il était entendu entre les Chinois et les Occidentaux qu’il n’était pas question d’une réunification par la force de l’île avec le continent, et que le statu quo continuait à s’appliquer.

Le président communiste Xi Jinping, 70 ans, semble avoir fait du retour de l’île dans le giron chinois continental sa priorité politique. C’est une trace qu’il aimerait laisser dans l’histoire. Le problème est que la population taïwanaise (24 millions d’âmes) tient à sa liberté et est prête à se battre pour elle. Instruite par l’exemple de Hongkong, elle ne fait aucune confiance au parti communiste chinois. Elle est prête à résister à une tentative d’invasion en provenance du continent – qui n’a rien de facile car 170 km de mer séparent les deux rivages. Elle sait qu’elle n’a pas besoin de la Chine continentale pour vivre. Forte de son avance dans l’industrie des semi-conducteurs, elle exporte et investit dans le monde entier.

Faute stratégique

Se lancer dans une aventure militaire serait une faute stratégique pour la Chine. D’abord, rien n’indique que sa flotte vaincrait en combat naval la flotte américaine dans le détroit de Formose. Ensuite, la Chine serait durement punie dans son commerce avec l’Amérique et l’Europe, ses deux plus grands partenaires commerciaux. Enfin, elle unifierait tous les pays de la région contre elle et ne se retrouverait qu’avec trois amies en Asie - la Russie, la Corée du Nord et le Pakistan.

En arrivant au pouvoir en 2013, Xi avait déjà commis une faute stratégique : au lieu de poursuivre un modèle qui marchait – la Chine se faisant passer pour un pays misérable et pacifique, soucieux de rejoindre le modèle de développement de l’Occident, et recevant en conséquence presque tous les investissements et la technologie qu’il demandait -, l’empire du Milieu se mit à affirmer sa puissance. Il supprima la démocratie à Hongkong et militarisa les récifs en mer de Chine du Sud, qui étaient jusque-là des terrae nullius. L’Amérique fit alors volte-face, plaçant sous embargo technologique son nouveau rival dans le Pacifique.

Rien n’indique cependant que la Chine, dont l’économie ne s’est pas remise de sa catastrophique gestion du Covid, ait pris la décision définitive de persévérer dans l’erreur et de poursuivre son harcèlement de Taïwan. C’est là que l’Europe peut jouer un rôle utile de médiateur, un rôle que l’Amérique ne pourra tenir en raison des surenchères antichinoises qui scanderont sa campagne électorale.

Il y a une expression dont les stratèges chinois actuels raffolent dans leur diplomatie : le jeu gagnant-gagnant. Il ne devrait donc pas être trop difficile pour Josep Borrell de convaincre Pékin qu’user de la force dans le détroit de Formose serait très certainement un jeu perdant-perdant.