Emmanuel Macron au fort de Brégançon, le 17 août 2023. © Élodie Grégoire pour « Le Point »

Entretien

Émeutes, dette, climat, éducation, Ukraine… Le président de la République répond aux critiques et révèle ce qu’il compte faire de son second mandat.

Le Point - 23 août 2023 - Par Etienne Gernelle, Mathilde Siraud et Valérie Toranian

Sous les canons – napoléoniens – la plage ? Premier constat en arrivant au fort de Brégançon : l'endroit est plus vert, moins austère que ce que l'on imaginait. Emmanuel Macron nous accueille, en bras de chemise et cravate, teint hâlé, souriant. Il nous en fait la visite, y compris de son bureau de vacances, installé à l'extérieur, sous un auvent, face à la Méditerranée. Le président de la République raconte quelques anecdotes, par exemple quand il a reçu ici même en 2019 Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov. Le premier ayant – fait rare compte tenu de sa paranoïa – consenti à goûter aux plats proposés, le second ayant manifestement un peu forcé sur la bouteille.

De Russie, d'Ukraine et de canons, il fut encore question lors de l'été présidentiel à Brégançon. Mais de la France aussi. Le dénouement des « cent jours », avec la reconduction d'Élisabeth Borne et quelques ajustements ministériels, a suscité beaucoup de doutes et de critiques sur la capacité qu'a l'exécutif de prendre la mesure de la situation. Y compris dans les colonnes du Point, avec cette couverture, fin juillet, intitulée « Y a-t-il encore un président ? », et deux éditoriaux consécutifs plutôt poivrés de Nicolas Baverez… Emmanuel Macron y répond d'ailleurs au cours de cet entretien.

Emmanuel Macron défend son bilan

Le président de la République s'explique, réplique, rend parfois les coups, défend son bilan sur l'autorité de l'État, les émeutes, la dette, l'industrie, l'immigration, etc. Il évoque ses projets, notamment sur l'école, un sujet selon lui « régalien » à propos duquel il annonce le retour de l'enseignement chronologique de l'Histoire et des changements de dates de vacances. Il prône aussi des « incitations plus fortes à reprendre un emploi ». Il assure enfin qu'il n'est pas un « lame duck » (canard sans tête) et jure qu'il présidera « jusqu'au dernier quart d'heure », dressant ses objectifs pour la suite de son mandat, exercice auquel il ne s'était prêté qu'assez marginalement lors de la campagne de 2022, éclipsée par la guerre en Ukraine, et même depuis. Il dévoile, au passage, le contenu de son « initiative politique », cette conversation qu'il veut organiser avec les oppositions pour trouver des « convergences » en vue de voter des lois et même d'organiser des référendums. La grande explication avec Emmanuel Macron, parfois posée, parfois davantage musclée, a duré un peu plus de deux heures. La voici !

Une interview à lire en 5 parties

1/5. Vacances scolaires, enseignement de l'histoire, décrocheurs, orientation, salaires des profs : le plan du chef de l’État.

Emmanuel Macron : « Sur l’école, nous devons sortir des hypocrisies françaises »

Qu'est-ce que l'école pour Emmanuel Macron ? Celle de Jean-Michel Blanquer, de Pap Ndiaye ou de Gabriel Attal ? Les trois, mon capitaine ! Le chef de l'État, qui a reçu Le Point pour un grand entretien à lire en cinq parties au fort de Brégançon, (re)met l'éducation au centre de son action. Lutte contre le décrochage scolaire, bataille de l'orientation, organisation des programmes (en histoire, notamment), amélioration du statut des enseignants…

Emmanuel Macron, le grand prof des Français ? « Je suis le président sous lequel les enseignants de la maternelle jusqu'à l'université auront été les plus revalorisés depuis trente ans », assure le chef de l'État. Qui reprend ici une idée lancée par son ancien Premier ministre Édouard Philippe : le raccourcissement des vacances scolaires…

Le Point : La rentrée des classes approche. Quelle est votre vision pour l'école, puisque vous dites que c'est une priorité, afin de « faire nation » ?

Emmanuel Macron : D'abord, il faut accueillir les enfants le plus tôt possible à l'école. Dès cette rentrée, nous allons accueillir dès 2 ans, partout où on le peut. Ensuite, dans les quartiers les plus en difficulté, quand vous avez des familles qui ne parlent pas français, vous ne pouvez pas avoir autant d'élèves dans les classes.

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Le dédoublement des classes en CP, CE1, c'est maintenant une réalité, et cela marche. On poursuit en grande section – on aura fini à la rentrée 2024 – et on va permettre de réduire le nombre d'élèves et avoir des adaptations pédagogiques aussi en moyenne section pour obtenir le même résultat. C'est là que les premiers savoirs fondamentaux sont transmis. On renforce donc le dédoublement et on l'a allié à l'évaluation, que l'on va généraliser au primaire.

Il y a trop de vacances, et des journées trop chargées.

Car, au fond, ce qui conduit l'échec scolaire à l'échec d'insertion, ce sont des jeunes qui glissent de classe en classe. On remet donc à l'école le cœur des savoirs fondamentaux, lire, écrire, compter, se comporter. Et on l'évalue chaque année. Cette évaluation sera largement partagée entre enseignants et parents dès cette rentrée et sera au cœur des conseils nationaux de refondation de l'école. On va pouvoir suivre ces jeunes et conjurer cette fatalité. Il faut cesser d'envoyer en sixième les 20 % d'élèves qui ne savent pas lire, écrire et compter. À côté de cela, nous allons instaurer la demi-heure de sport obligatoire chaque jour et renforcer dès la sixième l'éducation artistique et culturelle. Un jeune dissipé apprend complètement différemment si vous lui faites faire du sport et lui ouvrez d'autres horizons. Les Nordiques nous l'ont appris, et on l'expérimente à Marseille.

Fort de Bregancon 17/08/2023 Emmanuel Macron © @Elodie Gregoire / Elodie Gregoire

Nous devons laisser plus d'autonomie aux établissements, dans leurs projets, dans leurs recrutements, comme nous l'avons fait à Marseille. Certains ont pu ainsi tester l'école flexible : les élèves peuvent être debout, assis ou à genoux pendant la classe. Il y a alors un autre rapport aux savoirs, et ça marche. Il faut laisser l'innovation se faire au cœur des établissements et bien entendu évaluer les résultats.

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Les vacances sont-elles trop longues ?

Il faut changer le rapport au temps car, dans les communes les plus en difficulté, les inégalités se recréent le soir, le week-end et pendant les vacances. Il y a trop de vacances, et des journées trop chargées. Les élèves qu'on aura évalués, et qui en ont besoin, il faut qu'on puisse les faire rentrer dès le 20 août pour leur permettre de faire du rattrapage, et nous devons reconquérir le mois de juin pour les élèves qui ne passent pas d'épreuves en fin d'année.

Et le collège ?

La sixième, c'est l'âge du décrochage. On dit que le problème, c'est celui du collège unique : c'est faux ! Le problème, c'est la manière dont on le fait. Tous les enfants ont le droit d'aller jusqu'en troisième avant d'être orientés. La clé, c'est de ne pas décrocher. Il faut faire du soutien en sixième-cinquième. Voilà pourquoi on supprime l'heure de technologie pour faire une heure de français ou de mathématiques en fonction des besoins et qu'on généralise en sixième les devoirs faits au collège.

On a 12 millions d’heures perdues par an à cause des absences non remplacées.

Dans les quartiers en difficulté, on systématise à partir de cette rentrée le fait que les jeunes peuvent bénéficier de soutien éducatif de 8 heures à 18 heures tous les jours. Le grand projet, c'est aussi celui du remplacement des enseignants, notamment au collège. On a 12 millions d'heures perdues par an à cause des absences non remplacées. Voilà pourquoi certains parents se tournent vers les établissements privés.

Il y a aussi la bataille pour l'orientation. Dès la cinquième, il s'agit de faire entrer les métiers au collège. C'est fondamental, car la lutte contre l'assignation à résidence se fait là. Il y aura une présentation des métiers pour que les élèves se forgent une conviction, puissent comprendre où il y a des besoins. Enfin, sur la réforme du bac, nous sommes pragmatiques et on ne peut pas avoir des épreuves si tôt dans l'année. Dans les prochains jours, le ministre annoncera les ajustements que nous déciderons à ce sujet. Sur tout cela, nous devons sortir des hypocrisies françaises.

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Quelles hypocrisies ?

La première hypocrisie consiste à se féliciter d'avoir 80 % d'une classe d'âge au bac. Or un tiers de nos lycéens sont en lycée professionnel.

Lorsqu'on regarde la situation de nos adolescents en lycée professionnel, elle est inadmissible. Environ un tiers décroche et beaucoup trop n'ont ni diplômes ni formations. Depuis des décennies, face à cette situation si injuste, on a fermé les yeux. Personne ne s'indigne. On a reproduit des inégalités et on a produit du chômage. Donc il faut fermer les formations là où il n'y a pas de débouchés et en ouvrir là où il y a des besoins. Dans les métiers qui recrutent le plus, la majorité correspond à la voie professionnelle ; il y a donc un bel avenir pour ces jeunes, pourvu qu'ils soient bien orientés. Nous allons aussi recruter des professeurs associés, impliquer les entreprises, indemniser les stages, pour aller vers le zéro décrochage et le 100 % insertion.

Ce n’est pas vrai que tout le monde a vocation à aller à l’université et qu’aller à l’université est une fin en soi.

La deuxième hypocrisie, c'est l'accès à l'université et le cursus universitaire. Ce n'est pas vrai que tout le monde a vocation à aller à l'université et qu'aller à l'université est une fin en soi. Or là aussi la réalité est que la moitié des étudiants du premier cycle universitaire ne vont pas au bout. On va faire la transparence pour voir combien vont à l'université, combien obtiennent un diplôme, combien accèdent à un emploi, et travailler à l'évolution de l'offre de formations en fonction des besoins en emploi dont la nation a besoin, dans la même logique que pour les lycées professionnels.

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Il faudrait aussi mieux payer les profs…

Je suis le président sous lequel les enseignants de la maternelle jusqu'à l'université auront été le plus revalorisés depuis trente ans. Nous avons engagé une revalorisation historique des enseignants : c'est au cœur du pacte enseignant. Ils auront plusieurs centaines d'euros d'augmentation chaque mois. C'est une revalorisation comme on n'en a pas eu depuis 1990. Plus un enseignant ne sera payé moins de 2 000 euros à partir de cette rentrée. Et, en faisant des heures de soutien, en participant au dispositif Devoirs faits, l'augmentation pourra aller jusqu'à 500 euros par mois. Nous allons aussi mieux les payer pour qu'ils acceptent de faire des remplacements, car la première responsabilité de l'Éducation nationale, c'est que chaque classe ait un enseignant en face d'elle.

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Vous parlez beaucoup de l'école. Mais vous comprenez que la logique puisse être difficile à suivre quand vous êtes passé de Jean-Michel Blanquer à Pap Ndiaye ?

Je conteste totalement ce point. On a fait un mauvais procès à Pap Ndiaye, qui, comme Jean-Michel Blanquer avant lui, a conduit la politique sur laquelle je me suis engagé devant les Français : renforcer les savoirs fondamentaux, porter les valeurs de la République pour développer l'émancipation des jeunes et lutter contre les inégalités à la racine. Il en est de même de Gabriel Attal aujourd'hui. Compte tenu des enjeux, l'éducation fait partie du domaine réservé du président. Il y a une très grande continuité depuis 2017. Pourquoi je parle autant de l'école ? Parce que c'est le cœur de la bataille que l'on doit mener, parce que c'est à partir de là que nous rebâtirons la France. On a une génération, même plusieurs, qui malheureusement ont un peu perdu leurs repères à cause d'un pédagogisme qui disait, au fond, que l'école ne doit plus transmettre. L'école, c'est la transmission des savoirs, de l'esprit critique, et des valeurs. Il s'agit de faire des républicains, comme disait Ferdinand Buisson. Notre pays est devenu une nation par la langue et par l'État. Cette refondation de la nation passe par l'école et la connaissance.

Chaque semaine, un grand texte fondamental sur nos valeurs sera lu dans chaque classe puis débattu.

À ce titre, je veux que nous renforcions la formation de nos enseignants en histoire et en instruction civique et que nous refondions les programmes de ces deux matières. L'histoire doit être enseignée chronologiquement et l'instruction civique, devenir une matière essentielle. Chaque semaine, un grand texte fondamental sur nos valeurs sera lu dans chaque classe puis débattu.

Vous ne parlez pas de laïcité à l'école…

Quand on parle d'ordre, tout compte : les parents, l'autorité à l'école, la laïcité en tant que cadre commun et la lutte contre l'impunité. L'école est au cœur du combat pour la nation. On a des professeurs très courageux, on va continuer à mieux les former et à consolider le soutien de la hiérarchie. Nous ne laisserons rien passer car c'est à l'école que l'on fabrique les républicains de demain.

On a stoppé la mode du « pas de vague ».

Beaucoup d'enseignants ont peur et ne se sentent pas soutenus…

Je ne suis pas là pour décrire ce qui ne marche pas mais j'ai la clé pour qu'on s'en sorte. Il faut encourager ceux qui font très bien leur travail. Si des gens ne le font pas assez, eux, on les sanctionne. On a stoppé la mode du « pas de vague » avec Jean-Michel Blanquer. Je veux défendre nos enseignants, ce sont de grands républicains. Bien sûr, quelques-uns lâchent prise face à la pression, et d'autres considèrent qu'il faut faire des compromis. Mais ce n'est pas la majorité. Il n'y aura aucune forme d'accommodements avec les principes à l'école, l'autorité des savoirs et l'autorité des maîtres. C'est le seul moyen pour que l'État tienne. Et il n'y a à mes yeux qu'un chemin : l'autorité des savoirs, l'autorité des maîtres, une école de la transmission, de l'esprit critique et de la confiance.

2/5. Ukraine, Arménie, Niger… Le président fait le point sur ces trois crises et appelle à rebâtir une architecture géopolitique de l’Europe.

Emmanuel Macron : « Je reparlerai à Vladimir Poutine quand ce sera utile »

Le président de la République a reçu Le Point au fort de Brégançon pour un grand entretien. C'est la géopolitique qu'il aborde ici. « Nous aurons à rebâtir une architecture géopolitique de l'Europe. » Emmanuel Macron défend ses choix sur l'Ukraine et ne ferme pas la porte à la Russie, bien qu'elle ait provoqué « le retour de la guerre territoriale ». Au Haut-Karabakh, il souligne le rôle de la France, qui fait pression pour garantir les accès humanitaires, mais refuse de qualifier de « génocide » les crimes perpétrés contre les Arméniens. Par ailleurs, il réclame « la restauration de l'ordre constitutionnel » au Niger.

Le Point : Parlons un peu de l'Ukraine. On s'interroge beaucoup sur la manière dont le conflitpourrait se terminer. Pour certains, l'intégration du pays dans l'Union européenne pourraitêtre une compensation pour faire accepter un cessez-le-feu aux Ukrainiens avant l'élection américaine, même si une partie de son territoire est encore occupée…

Emmanuel Macron : D'abord, puisque vous parlez des États-Unis, on a eu la chance, en Ukraine, d'avoir une administration américaine qui nous a aidés. Pour autant, soulignons, si l'on additionne toute l'aide civile et militaire, que les Européens ont autant aidé budgétairement et financièrement que les États-Unis. Surtout si on prend en compte ce qui a été réellement livré ! Mais la question est la suivante : est-ce qu'on peut laisser l'Ukraine être défaite et la Russie l'emporter ? La réponse est non, on ne le peut pas. La Russie a provoqué le retour de la guerre territoriale, et nous devons défendre le droit international, la souveraineté des peuples, les frontières. Nous devons tenir dans la durée.

La bonne négociation sera celle que les Ukrainiens voudront ! C’est un peuple souverain.

Mon souhait, c'est que la contre-offensive des Ukrainiens puisse ramener tout le monde autour de la table de négociation pour faire émerger une solution politique dans des conditions plus favorables. La bonne négociation sera celle que les Ukrainiens voudront ! C'est un peuple souverain. Aurions-nous aimé que des gens de l'extérieur nous expliquent ce qu'il fallait faire en Alsace-Lorraine ? L'Otan et l'Union européenne sont des éléments d'une négociation plus large. À terme, nous aurons à rebâtir une architecture géopolitique de l'Europe. C'est ce que je défendais quand je discutais avec Vladimir Poutine.

Le lien est désormais rompu ?

Je lui reparlerai quand ce sera utile. Il a fait une rupture profonde en choisissant de ne plus respecter les accords internationaux, d'être du côté de l'impérialisme et du néocolonialisme, tout en étant membre permanent du Conseil de sécurité et puissance dotée de l'arme nucléaire, de nourrir le désordre du monde. C'est un choix profond.

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Que répondez-vous à Nicolas Sarkozy, qui considère que notre avenir était aussi avec la Russie et que ce serait une erreur d'intégrer l'Ukraine dans l'UE ?

Nous ne parlons pas du même endroit. Il est impossible aujourd'hui de parler de l'Ukraine sans tenir compte du contexte, qui est encore celui de la guerre. Pour autant, oui, il faudra vivre avec la Russie, car on ne changera pas la géographie. Mais c'est à la Russie de définir quel partenaire elle veut être. Or, là, elle n'est déjà plus celle de 2021. À ce titre, la responsabilité que Vladimir Poutine a prise est immense.

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Avec l'entrée de l'Ukraine, et le poids de la Pologne, l'équilibre européen bascule vers l'Est. C'est la revanche de Kundera, de son « Occident kidnappé » ? Et, en conséquence, est-ce une erreur de se focaliser sur l'axe franco-allemand ?

Je défends une vision de l'Europe non hégémonique. L'Europe, ce sont 27 capitales ! Je les ai d'ailleurs toutes visitées durant mon premier mandat. Une fois que l'on a dit cela, il y a plusieurs vocations de l'Europe. Il y a une Europe géopolitique, qui correspond à la Communauté politique européenne, que j'ai proposée en mai 2022 et qu'on a réunie deux fois. C'est l'idée de confédération de François Mitterrand et de Vaclav Havel, de l'Atlantique au Caucase. Il y a ensuite une Europe des marchés, qui forme un espace économique de production, d'échanges et de prospérité. Et, enfin, il faudra une Europe plus intégrée, qui accepte d'être plus audacieuse. On aurait tort d'avoir un format monolithique, de se limiter au choix entre intégration et élargissement.

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Vous avez parlé d'Europe élargie jusqu'au Caucase… En 2020, vous aviez dit que la reconquête du Haut-Karabakh par l'Azerbaïdjan était inadmissible. Cela fait huit mois que l'Azerbaïdjan impose un blocus à la région. L'ex-procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, qualifie ce blocus de génocide par la famine. Que faites-vous ?

Notre diplomatie est claire mais le temps n'est pas à la diplomatie. Je le déplore et je le condamne. Nous avons toujours dit être là pour la souveraineté des peuples. La question du Haut-Karabakh est compliquée, y compris pour la légalité des peuples. Je ne peux pas suivre les propos les plus jusqu'au-boutistes sur ce sujet. La France a condamné la guerre de 2020 avec clarté et organisé plusieurs opérations humanitaires. Aujourd'hui, nous faisons tout pour qu'un accord permettant une paix durable et la sauvegarde des peuples et des cultures soit trouvé entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Ce traité de paix est une nécessité, mais il doit être conforme au droit international.

Le temps de la Françafrique est révolu, je vous le confirme. On ne va pas se flageller pour autant !

Malgré le processus génocidaire constaté par des experts internationaux…

Je me garderais d'utiliser trop vite ce terme. Nous avons une situation humanitaire qui n'est pas acceptable, en particulier pour le corridor de Latchine. Le rôle de la France est de maintenir la pression sur les accès humanitaires, et nous maintenons tous nos efforts pour y parvenir. En particulier, nous continuons de prendre toutes les initiatives utiles pour que des vivres, des médicaments soient acheminés et qu'un accès libre soit maintenu vers le Haut-Karabakh. En plus de cela, l'Arménie est menacée sur ses propres frontières aujourd'hui.

À propos de la situation au Niger : n'est-ce pas la fin d'une époque pour la France en Afrique ? Qu'avons-nous raté ?

Ce n'est pas la France qui fait un coup d'État au Niger ni qui élit un président nigérien. Et si vous voulez dire que le temps de la Françafrique est révolu, je vous le confirme. On ne va pas se flageller pour autant ! En ce qui concerne le Niger, nous sommes clairs : ce coup d'État est un coup contre la démocratie au Niger, contre le peuple nigérien et contre la lutte antiterroriste. C'est pourquoi nous appelons à la libération du président Bazoum et à la restauration de l'ordre constitutionnel.

Mais si l'on prend de la hauteur, la France a eu raison de s'engager aux côtés d'États africains pour lutter contre le terrorisme. C'est son honneur et sa responsabilité. Si nous ne nous étions pas engagés, avec les opérations Serval puis Barkhane, il n'y aurait sans doute plus de Mali, plus de Burkina Faso, je ne suis même pas sûr qu'il y aurait encore le Niger. Ces interventions françaises, à la demande des États africains, ont été des succès. Elles ont empêché la création de califats à quelques milliers de kilomètres de nos frontières. Il y a, certes, une crise politique dans beaucoup de pays d'Afrique de l'Ouest. Mais quand il y a un coup d'État et que la priorité des nouveaux régimes n'est pas de lutter contre le terrorisme, la France n'a pas vocation à rester engagée. C'est, il est vrai, dramatique pour les États concernés.

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Comment voyez-vous la suite pour la France en Afrique ?

La politique de la France, que je porte depuis 2017, est de sortir de la logique sécuritaire. Je crois dans une politique partenariale où la France défend ses intérêts et appuie l'Afrique pour qu'elle réussisse. C'est un réel partenariat et pas un condominium sécuritaire.

3/5. Dette, fonctionnaires, nucléaire, climat… Le président explique ses choix. Sans oublier l’enjeu crucial de l’intelligence artificielle.

Emmanuel Macron : « Je ne saurais me contenter d’un taux de chômage à 7 % ! »

Emmanuel Macron restera-t-il dans l'histoire comme le président du « quoi qu'il en coûte » ? Ou, au contraire, comme un chef de l'État progressiste qui permettra à la France de basculer dans la modernité, en réduisant le chômage, en favorisant la réindustrialisation et en affrontant avec volontarisme l'urgence climatique et le dossier nucléaire ? À la croisée des chemins, le président répond aux questions qui fâchent depuis le fort de Brégançon où il a reçu Le Point pour un grand entretien.

Le Point : Sur l'économie, il y a un chiffre terrible : 700 milliards de dette publique en plus depuis 2017…

Emmanuel Macron : Pardon, mais comparons ce qui est comparable. Regardez ce qu'ont fait les Italiens et les Allemands par rapport aux Français. Je défends la politique qu'on a menée, avec des dispositifs par ailleurs inédits du fait des défis sanitaires ou économiques successifs que nous avons dû relever

Nous avons permis à des entreprises industrielles, des commerçants et des artisans de tenir. Fallait-il les laisser faire faillite pour ensuite leur payer le chômage ?

Tout de même, si l'on se réfère à Eurostat, la dette publique française est passée de 98,5 % du PIB à 111,6 % entre 2017 et 2022. L'Allemagne, elle, est passée de 63,9 % à 66,3 % dans le même temps…

On est au-dessus de la moyenne de la zone euro, mais pas beaucoup plus. Et puis on a eu une politique de maîtrise de nos dépenses publiques. Dès 2017, on a baissé les impôts et les dépenses.

Ça a duré jusqu'en 2018…

Non, c'est faux, on a continué. J'ai répondu aux Gilets jaunes en baissant les impôts et n'ai pas cédé à la facilité de la dépense publique. Nous avons maîtrisé en dépenses courantes les dépenses publiques et avons opéré une baisse de 50 milliards d'euros d'impôts, moitié pour les ménages et moitié pour les entreprises, sous le précédent quinquennat. Entre 2017 et 2020, on n'a jamais baissé à ce point les dépenses courantes tout en baissant les impôts. Et on a continué jusqu'à la crise Covid, où l'État a absorbé le choc pour sauver l'économie. Je défends et j'assume totalement la politique de la dette Covid, car ce sont les leçons tirées de la crise financière de 2008. La dette a moins augmenté au cours du Covid que lors de la crise financière, alors que la récession était deux fois plus forte, et surtout, contrairement à la crise financière, l'appareil productif a été préservé et le chômage a continué à baisser. Et c'est en effet encore l'État qui a absorbé le choc lié à la guerre en Ukraine et à l'inflation pour aider les ménages, les entreprises, les collectivités locales, etc.

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On a quand même le niveau de dépenses publiques le plus élevé de tous les pays industrialisés. Pouvons-nous vraiment faire le socialisme dans un seul pays ?

C'est une réalité que nous avons un haut niveau de dépenses publiques et que nous devons continuer à le faire baisser en commençant par réduire les dispositifs exceptionnels mis en place pour faire face à la crise des prix de l'énergie qui n'ont pas vocation à être durables. Et c'est pourquoi l'année prochaine, comme en 2018, les dépenses de l'État vont baisser de plus de 3 % en volume, c'est-à-dire en tenant compte de l'inflation. Nous commencerons à diminuer le poids de la dette en 2026 et repasserons sous les 3 % de déficit en 2027. Et quand je regarde la structure de nos dépenses publiques, au-delà des dispositifs de soutien exceptionnels face aux crises, d'où viennent les coûts ? De nos dépenses sociales, essentiellement.

Nous avons 5,3 millions de fonctionnaires, et il faut des mois pour faire un passeport…

J'adore ce débat sur les fonctionnaires ! Les gros bataillons des fonctionnaires, en dehors des collectivités locales, ce sont les militaires, les enseignants, les soignants à l'hôpital, les magistrats, les membres de l'administration pénitentiaire, les policiers, ce ne sont pas ceux de l'administration centrale !

On voit bien qu’entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions, on a trop de strates et un problème de clarté des compétences.

Donc il faut plus de fonctionnaires ?

Non ! Je vois bien qu'on a besoin d'efficacité des services publics partout. Mais avons-nous eu une explosion du nombre de nos fonctionnaires ? Non ! En revanche, nous devons aller plus loin sur la réforme de l'État et de la fonction publique pour apporter un meilleur service aux Français. En mettant en place le prélèvement à la source, le paiement direct des pensions alimentaires ou MaPrimeRénov', nous avons simplifié la vie des Français et réalisé des économies, mais nous devons changer d'échelle. Et nous devons poser la question de l'organisation territoriale, qui est confuse et coûteuse, et dilue les responsabilités. On voit bien qu'entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions, on a trop de strates et un problème de clarté des compétences. Ces sujets aussi doivent pouvoir être mis sur la table à la rentrée.

Vous parliez des transferts sociaux…

C'est le cœur de la bataille, car la dépense sociale représente près de la moitié des dépenses publiques. En quarante ans, le coût de notre modèle social a explosé sous l'effet des dépenses sociales et notamment des transferts : RMI puis RSA, indemnités chômage, allocations logement, dépenses de santé et retraites. Il faut réduire ce qui relève des transferts curatifs par de la bonne dépense préventive. C'est ça, la politique qu'on mène : en mettant le paquet sur l'école, l'apprentissage, pour réduire le taux de chômage et améliorer le taux d'emploi, pour, par exemple, ne plus avoir de « ni-ni ». On fait plusieurs milliards d'euros d'économies sur l'Unédic grâce à la baisse du chômage. Et avec la réforme des retraites, on augmente le temps au travail et donc la production globale. Si nous avions le même taux d'activité et le même taux de chômage que l'Allemagne, nous ne parlerions pas d'un problème de finances publiques.

Vous ne reconnaissez pas que cette réforme des retraites est insuffisante ?

Elle a permis de préserver le versement des pensions des retraites d'aujourd'hui et de demain, elle a amélioré la situation de millions de retraités modestes et elle accroît justement la quantité de travail, comme la réforme de l'apprentissage, qui est un succès de mon premier mandat, ou les réformes du lycée professionnel et de l'université que nous allons conduire. La majorité présidentielle et le gouvernement ont été courageux dans cette bataille.

La vraie réforme des retraites aurait été la réforme universelle, par points…

C'était la réforme la plus transparente et la plus juste et je salue le travail d'Édouard Philippe, qui l'a défendue et fait voter en première lecture à l'Assemblée, en 2020. Mais oserais-je rappeler qu'elle a suscité autant de rejet que celle que nous venons de voter ? De toute manière, on va y venir un jour, car c'est le sens de l'Histoire. En attendant, nous avons fait ce que les autres n'ont pas réussi à faire avant, c'est-à-dire supprimer les régimes spéciaux, ce qui est un premier pas vers un régime universel.

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Enfin, avec la clause du « grand-père » ! Ceux qui ont été embauchés juste avant en bénéficieront dans plusieurs décennies, au moment de partir…

Oui, mais les nouveaux entrants, non ! Si quelqu'un avant moi avait fait ça, je n'aurais pas eu à le gérer ! Nous avons fermé le régime spécial de la SNCF et nous avons fait de même cette année avec ceux de la RATP et d'EDF. Nous avons désormais un système plus juste et plus solide, comme je m'y étais engagé. Et pour assurer pleinement les retraites de demain et d'après-demain, il faut créer plus d'emplois pour tous.

Aucun pays n’a fait mieux que la France en matière de baisse du chômage, de croissance et d’attractivité ces six dernières années. On est numéro un en Europe sur ces trois critères.

Alors cela signifie que les réformes du marché du travail ne sont pas finies…

Je ne saurais me contenter d'un taux de chômage à 7 % ! Mais je ne suis pas là depuis vingt ans. Quand je regarde les autres, je vois qu'aucun pays n'a fait mieux que la France en matière de baisse du chômage, de croissance et d'attractivité ces six dernières années. On est numéro un en Europe sur ces trois critères. Et ce n'est pas sans rapport avec les réformes que nous avons lancées.

Oui, nous devons continuer à faire davantage pour réduire notre chômage par tous les moyens.

Il n’y a pas de fatalité. Moi je ne cède pas, je ne reviens pas en arrière malgré les crises, y compris en matière fiscale.

On a toujours un énorme problème d'emplois non pourvus…

Parce qu'il faut assurer des incitations plus fortes à reprendre un emploi et continuer de réduire l'inadéquation entre l'offre et la demande. On passera de 7 % à 5 % de chômage en nous dotant d'un système d'assurance-chômage véritablement contracyclique – donc d'autant plus protecteur que le taux de chômage est élevé et inversement – et en allant chercher ceux qui sont au chômage de longue durée, et les plus éloignés de l'emploi. C'est tout le sens de la réforme de l'assurance-chômage et de France Travail. La bataille sur les finances publiques, c'est d'abord notre effort pour créer de l'activité. Il n'est pas de réforme plus efficace pour assurer la viabilité de nos finances publiques que celle des retraites. Il en est de même de toutes les réformes qui nous permettront, en travaillant davantage, de produire plus.

C'est pourquoi les réformes du marché du travail et toutes nos politiques industrielles sectorielles vont aussi en ce sens. Par exemple, pour la fin de mon mandat, nous avons déjà sécurisé la production d'au moins 1 million de véhicules électriques en France, alors qu'on avait beaucoup perdu dans ce secteur. Il n'y a pas de fatalité. Moi je ne cède pas, je ne reviens pas en arrière malgré les crises, y compris en matière fiscale, contrairement à nos habitudes en France.

Emmanuel Macron au fort de Brégançon, le 17 août 2023. © Élodie Grégoire pour « Le Point »

Sur le nucléaire, au moins, vous avez varié…

Non ! Comme ministre de l'Économie, j'ai participé à redresser la filière nucléaire française, qui était dans une impasse. Areva était au bord du dépôt de bilan. Ensuite, nous lui avons redonné de la visibilité. Six mois après mon élection à la présidence, j'ai décalé de dix ans la cible de réduction à 50 % du nucléaire. Je disais déjà à l'époque qu'il fallait du nucléaire pour le climat comme pour l'indépendance énergétique. Puis, nous avons bâti du consensus avec le rapport de l'Agence internationale de l'énergie et du RTE (Réseau de transport d'électricité). Les experts ont conclu que la trajectoire en termes d'émissions de carbone n'était pas réaliste sans le nucléaire. Enfin, j'ai annoncé à Belfort des ambitions qui mettent fin à dix ans de dérives et vingt-cinq ans de non-investissement dans le cadre d'une stratégie énergétique globale : plus d'efficacité énergétique, plus de renouvelable, plus de nucléaire !

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Puisqu'on parle de climat… C'est peut-être, avec l'intelligence artificielle, l'un des deux grands sujets de civilisation actuels. Sommes-nous à la hauteur des enjeux ?

Ce sont deux immenses révolutions qui soulèvent aussi des questions d'indépendance et de souveraineté. C'est un moment inédit dans l'histoire contemporaine de l'organisation de notre façon de produire. On réglera beaucoup de nos problèmes par l'innovation. Au moment où je vous parle, les Américains et les Chinois mettent des milliards et des milliards sur l'IA et les cleantech. Nous avons besoin d'investir beaucoup plus et d'être beaucoup plus efficaces. L'Europe a le choix : soit être un formidable marché de consommateurs riches et bien accompagnés par des transferts publics qui achèteront du Netflix, du ChatGPT, des voitures électriques et des panneaux solaires chinois et des technologies numériques américaines ; soit fabriquer sur son sol des véhicules électriques, et posséder des acteurs de l'IA. Il faut agir en Européens.

L’idée de puissance européenne était vue comme une lubie française il y a encore cinq ans. D’un point de vue gramscien, la France a gagné.

Et comment fait-on ?

Le cœur de la réponse, c'est un marché unique plus intégré, des investissements bien plus massifs, et acter le fait que nous sommes en compétition avec l'Amérique et la Chine. Avec l'IRA (Inflation Reduction Act), les États-Unis ont choisi de fait une stratégie non coopérative avec nous. Il faut en tirer les conséquences. Ces dernières années, la France a réussi à imposer la doctrine de l'autonomie stratégique, annoncée dans le discours de la Sorbonne en septembre 2017. Elle est désormais partout en Europe. L'idée de puissance européenne était vue comme une lubie française il y a encore cinq ans. D'un point de vue gramscien, la France a gagné. Nous avons d'ailleurs commencé à investir massivement, avec par exemple notre plan France 2030, notamment sur les industries vertes avec les batteries, l'hydrogène ou encore les semi-conducteurs… Maintenant, face à la révolution des cleantech et de l'IA, l'Europe doit faire plus vite, plus fort, et être plus unie.

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Sur l'IA particulièrement, ne risque-t-on pas de laisser passer le train ? Les Français de Hugging Face, peut-être les plus en vue du secteur, ont leur siège aux États-Unis…

Les Américains sont en avance, mais ils n'ont pas pour autant gagné la bataille. Si l'Europe sait réagir, on peut avoir notre propre modèle. C'est l'objectif que je vais poursuivre. On a commencé à créer des structures et à investir dans la recherche. Tout se tient, d'ailleurs. Pour les supercalculateurs, nous en avons déjà, mais, pour en avoir plus, il faut beaucoup d'énergie. Or la France est bien placée dans l'énergie décarbonée. On forme beaucoup de talents, mais on a besoin d'accélérer en formant davantage, et de beaucoup plus d'investissements.

L’Europe ne peut pas être l’un des continents les plus vieux, avec le modèle social le plus généreux, qui en même temps produit le moins.

D'investissements européens ?

Oui. Au moment du Covid, on a fait avec Angela Merkel ce qui n'avait pas été fait au moment de la crise de 2008, c'est-à-dire qu'on a créé de la dette commune. C'était une révolution copernicienne. Est-ce que l'Europe, qui a été un marché de consommateurs, se pense désormais vraiment comme une puissance ? On doit par exemple assumer de moins importer de véhicules chinois et de produire sur notre sol. L'Europe doit défendre sa capacité productive, militaire, géopolitique. On ne peut pas être l'un des continents les plus vieux, avec le modèle social le plus généreux, qui en même temps produit le moins. Ça ne marchera pas. Ce sujet des investissements communs européens dans le climat, la défense, l'IA est au cœur du projet européen à venir.

Le radicalisme suscite toujours des réactions et crée des clivages dangereux pour la cause même que l’on entend servir.

Sur le climat, le débat n'est pas que technique – comment faire – mais aussi très politique, avec l'essor d'un nouveau radicalisme, notamment dans la jeunesse…

Sur ce sujet, le débat se polarise à travers des prismes idéologiques. Nous sommes aujourd'hui face à un hyperindividualisme où chacun estime détenir seul la vérité, être la mesure de toute chose et incarner une pureté absolue. Et l'expression politique se mue alors en cri. La démocratie ne peut se résumer à un cri. Elle suppose de composer avec l'autre. Or, face à ces positions extrêmes, d'autres citoyens s'estiment dépossédés de ce qui constitue pour eux des droits : se déplacer en prenant leur voiture – souvent faute de pouvoir faire autrement –, chasser… Le radicalisme suscite toujours des réactions et crée des clivages dangereux pour la cause même que l'on entend servir.

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Je plaide, moi, pour une écologie exigeante de progrès, de projet, de bon sens, de solutions, dans le cadre d'une planification reposant sur les analyses scientifiques, pour donner de la visibilité. Avec la planification, nous avons conduit un exercice d'une ampleur et d'une exhaustivité inédites, que nous allons décliner de manière territoriale et concrète à partir de la rentrée avec les Français, qui doivent être les premiers acteurs du défi environnemental. Agir, sans pour autant donner des leçons aux gens sur la vie qu'ils ont à avoir. On ne peut pas passer d'une décennie où on a dit aux gens : « Si vous êtes des bons Français, il faut que vous ayez un pavillon, avec un jardin » et le lendemain considérer que c'est un scandale d'avoir ce mode de vie.

La transition écologique doit être rendue désirable et ne pas sembler irréalisable. Sinon nous laisserons trop de monde sur le bord du chemin. Il faut expliquer vers où nous devons aller et responsabiliser plutôt qu'interdire. J'ai parlé en août dernier de la fin de l'abondance, cela a été une manière de préparer les esprits aux mois qui ont suivi, et qui ne m'ont pas démenti là où beaucoup ont ri ou critiqué les propos que j'avais prononcés. Mais l'hiver s'est fait sans coupures ni restrictions, car, en partageant les informations et les contraintes, nos compatriotes ont été responsables et ont agi. Il y a sur ce sujet un chemin frayé, un modèle que nous sommes en train de bâtir et qui sera une fierté française.

4/5. Sécurité, autorité, intégration… Le président défend son bilan dans les domaines régaliens. Et récuse l’impuissance de la politique.

Emmanuel Macron : « Il faut s’atteler à reciviliser »

Des émeutes urbaines qui soulignent la déliquescence de l'autorité, une police en mal d'effectifs, une justice laxiste… Attaqué tous azimuts sur son bilan régalien, critiqué pour son immobilisme, le président de la République, qui a reçu Le Point au fort de Brégançon, défend la cohérence de sa politique, dans un monde de plus en plus instable – « liquide », souligne-t-il – et sous la pression de l'immédiateté. Emmanuel Macron en appelle au temps long. « L'action politique prend parfois des mois voire des années pour porter ses fruits », soutient-il.

Le Point : Une première question philosophico-balnéaire, ici, à Brégançon… Dans Le Point, la semaine dernière, Sylvain Tesson disait : « Nager, au sens symbolique, c'est se maintenir dans le mouvant, l'imprévisible. C'est la fonction des dirigeants politiques aujourd'hui. Ils légitiment leur impuissance en prétextant l'inéluctabilité des choses… » A-t-il raison ?

Emmanuel Macron : J'admire beaucoup Sylvain Tesson. Et il est vrai que le monde est devenu liquide, même si je pense qu'il y a aussi des intangibles, des permanences… En revanche, je ne suis pas d'accord sur la nage. D'abord, c'est un mouvement, ensuite, il y a le plaisir, la praxis que cela emporte. C'est un formidable exercice de l'esprit et du corps. Moi, je défends la nage ! Cela ne veut pas dire que j'aime le monde liquide. Je le déplore, mais méfions-nous aussi de nos nostalgies. Est-ce que le monde d'hier était plus solide et enviable que le nôtre ? Mais à coup sûr, oui, le nôtre est liquide.

Que voulez-vous dire ?

Nous sommes dans un monde multicrise, de manière sans doute inédite. Tout cela vient dissoudre beaucoup de certitudes. La géopolitique, par exemple, se dissout, en tout cas telle qu'on la vivait au XXe siècle. On vit le retour des ambitions des grandes puissances, le recul de l'attractivité des démocraties, et le monde se structure dans la tension entre la Chine et les États-Unis avec une remise en cause profonde du droit international.

Les États-Unis et la Chine ont décidé qu’il n’y avait plus d’Organisation mondiale du commerce. Les cadres ont explosé.

Vous pensez à Hongkong, à l'Ukraine ?

Oui. Sur l'Ukraine, nous avons défendu le droit international. Mais des membres permanents du Conseil de sécurité ne le défendent plus, et plusieurs pays importants du Sud se tiennent à distance de cette situation ! Par ailleurs, la conflictualité sino-américaine se fait aux dépens de l'ordre commercial établi. Ces deux puissances ont décidé qu'il n'y avait plus d'Organisation mondiale du commerce puisque l'une comme l'autre s'arrangent avec ses règles. Les cadres sont en train d'exploser. On voit, avec ces deux dérèglements, géopolitique et commercial, à quel point la grammaire dans laquelle nous vivions est bousculée. Ceci avait commencé au début du siècle mais s'est accéléré et n'est pas une bonne nouvelle pour l'Occident. Cela se retrouve dans la crise qu'on vit en Afrique.

Tout cela est une question existentielle pour l'Europe qui ne saurait être la variable d'ajustement de ce nouvel ordre mondial et doit défendre son modèle politique et social singulier. D'autant qu'il y a aussi la remise en cause de la démocratie – une première depuis 1990 – alors même, par exemple, que ce sont les systèmes démocratiques qui ont été les plus efficaces durant le Covid, et de loin !

Les usages numériques, en particulier les réseaux sociaux, abolissent respect et civilité, et sapent l’autorité de tout discours en créant un espace où toutes les paroles se valent.

Pourquoi cette remise en cause ?

Il y a une fascination pour l'autoritarisme. Les régimes autoritaires continuent à se durcir et ont de moins en moins de contraintes à l'international. La crise des démocraties est d'abord une crise d'efficacité au moment où le monde est confronté à toute une série de grands bouleversements géopolitiques et démographiques… Cela s'additionne avec le dérèglement climatique, et ce que la transition écologique implique dans nos vies.

J'ajouterais à cette liste un dérèglement technologique que les réseaux sociaux créent dans nos sociétés et les transformations numériques. Tout s'est accéléré, tout paraît accessible, et les échelles de valeur se sont toutes nivelées.

Les usages numériques, en particulier les réseaux sociaux, abolissent respect et civilité, en grande partie en raison de l'anonymat, et sapent l'autorité de tout discours en créant un espace où toutes les paroles se valent.

Tout cela s'ajoute à des sociétés modernes et postmodernes qui ont vu les grandes idéologies, les formes religieuses traditionnelles, les structures intermédiaires de la société s'affaiblir. L'autorité sous toutes ses formes est battue en brèche. On peut choisir de rester sur son rocher, se retirer de ce monde. Mais ce n'est pas comme cela que l'on écrit l'Odyssée ! L'autre réaction est la peur. C'est le terreau des extrêmes, car la radicalité des identités crée une forme de réassurance. Moi, je crois à un autre chemin, le projet humaniste des Lumières, ce doit être le chemin français.

Il est faux de dire que la politique ne peut plus rien. La question, c’est celle du temps.

Ces « dérèglements » n'ont-ils pas aussi comme conséquence l'impuissance du politique ?

Je ne crois pas. Il est faux de dire que la politique ne peut plus rien. La question, c'est celle du temps. Dans le monde liquide, celui des réseaux sociaux ou des livraisons instantanées, la réponse est immédiate. L'action politique, elle, prend parfois des mois, voire des années pour porter ses fruits. Cette exigence d'immédiateté peut remettre en cause la capacité même d'agir. Et les gens perdent le fil. Par exemple, je me suis engagé au début de mon premier quinquennat sur l'accès généralisé au très haut débit. Tout le monde en parlait comme d'une source majeure d'inégalité entre les territoires. On est en train de le finir et plus personne n'en parle, c'est comme digéré.

Autre exemple : nous avons supprimé en 2018 le numerus clausus pour les médecins. Cela prendra dix, quinze ans, pour en voir l'effet, mais les Français attendent que des solutions soient apportées à court terme à la pénurie de médecins qui va encore s'accroître dans les toutes prochaines années. Mais, pour en revenir à ce sentiment d'impuissance, je crois qu'il ne correspond pas à la réalité. La preuve, les réformes engagées sur le plan économique et industriel produisent leurs résultats aujourd'hui. Nous avons créé 2 millions d'emplois depuis 2017 et rouvert plus de 300 usines, dans un pays qui se désindustrialisait depuis des décennies, et qui n'avait pas réussi à régler le problème du chômage de masse. Il faut de la constance, et savoir résister aux facilités du moment. Il y a un chemin entre l'immédiateté et le fatalisme. Mais cela exige d'avoir le courage de prendre des décisions audacieuses, de les tenir même face aux protestations et de veiller à leur exécution.

On me parle de régalien chaque matin… La belle affaire ! Qui parle de régalien ? Les gens qui ont défendu la suppression de 10 000 postes de policiers et de gendarmes ? De centaines de postes de magistrats ?

L'un des problèmes récurrents, c'est la crise de l'autorité. Comment garantir que les émeutes qu'on a connues au début de l'été ne recommen-ceront pas dans six mois ?

D'abord, sur le moment, nous avons été intraitables. Car nous nous sommes « réarmés » ces dernières années. On me parle de régalien chaque matin… La belle affaire ! Qui parle de régalien ? Les gens qui ont défendu la suppression de 10 000 postes de policiers et de gendarmes ? De centaines de postes de magistrats ? On ne fait pas de régalien sans troupes ! Nous avons reconstitué du muscle régalien durant mon premier mandat. On a créé 10 000 postes de sécurité intérieure et, désormais, on va créer 200 brigades de gendarmerie. On a augmenté de 40 % le budget de la Justice et engagé le recrutement de 8 500 magistrats, greffiers et agents. On a aussi simplifié et accéléré les procédures, avec des vrais résultats pour une réponse pénale plus efficace et plus rapide…

J'ajoute qu'il n'y a jamais eu autant de détenus en France, alors, qu'on ne dise pas que la justice est laxiste ! Il y avait 74 500 détenus au 1er juillet alors que, fin 2001, il n'y en avait que 48 000. Nos prisons sont archipleines, nul ne le conteste, et la justice a raison d'être sévère contre la délinquance, mais on manque de places faute d'avoir suffisamment construit au cours des vingt dernières années. C'est la raison pour laquelle j'ai donné les moyens au garde des Sceaux de construire, avant la fin de 2027, 15 000 nouvelles places de prison. Et que tous les responsables qui appellent à lutter contre l'impunité nous aident à faire sortir ces prisons de terre et à avancer !

Enfin, pour être complet sur ce volet régalien, nous avons voté une seconde loi de programmation militaire qui aboutira à un doublement du budget des armées depuis 2017.

Tout cela n'a pas empêché les émeutes…

Était-ce un fait inédit ? La Grande-Bretagne en a connu, le Danemark aussi, et la France en 2005. Ça a duré quelques jours au début de l'été, contre trois semaines en 2005. Pourquoi ? Parce qu'on a déployé les forces nécessaires, soit 45 000 policiers et gendarmes. Des responsables politiques me demandaient de décréter l'état d'urgence, je ne l'ai pas fait. J'ai assumé de ne pas réduire les libertés des Français. Mais nous avons été implacables. On a eu, dans 500 villes, 10 000 personnes environ qui ont créé du désordre, et on a procédé à plus de 4 000 interpellations. Il y a eu 1 200 défèrements dont plus de 1 000 comparutions immédiates. La réponse de court terme était là, l'État n'a pas été faible ! C'est d'ailleurs pour cela que ça n'a duré que quelques jours. Je rappelle par ailleurs que, dans la première année de mon second mandat, nous avons pris les trois grandes lois d'orientation sur le régalien : sur la police, la justice et les armées. Il n'y a aucune faiblesse chez moi, mais des actes qui vont avec des mots, contrairement à beaucoup d'autres qui font des rodomontades.

Quelle est votre analyse des émeutes ?

D'abord, on parle de quelques milliers de jeunes, très jeunes. Parmi les 500 villes touchées, 350 comprenaient des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), donc 150 d'entre elles ne présentaient pas de difficultés apparentes. Et, dans certains QPV, il n'y a rien eu. Durant ces quelques jours, après la mort de Nahel, il y a eu un immense déferlement de violence, de violence mimétique, une volonté de vengeance.

Des gens disent que c’est un problème d’immigration récente, c’est surtout un problème d’intégration et de refondation de la nation.

Une vengeance contre qui ?

Contre les forces de police, l'État, et tout ce qu'il représentait. Il n'y a pas eu de message politique, pas davantage de message social ni religieux. Des gens me disent qu'il n'y a pas assez d'argent dans la politique de la ville, j'ai augmenté le budget de l'Anru de 5 à 12 milliards d'euros ! Il y a plus de grues déployées dans les quartiers qu'il y en avait au début de l'Anru. Ce n'est pas ça, la seule réponse ! On me dit que c'est parce qu'il n'y a pas assez de policiers. Il y en a plus ! Ce qui se passe, c'est que vous avez une relation qui n'est pas réglée entre une partie de la jeunesse et l'autorité, et en particulier les forces de police, mais pas uniquement, car l'autorité n'est pas seulement une question de sécurité. Ensuite, la place des écrans, des réseaux sociaux a été majeure dans ces émeutes.

Enfin, on a un problème d'intégration. Des gens disent que c'est un problème d'immigration récente, c'est surtout un problème d'intégration et de refondation de la nation.

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Emmanuel Macron au fort de Brégançon, le 17 août 2023. © Élodie Grégoire pour « Le Point »

Pourquoi dites-vous cela ?

Ce ne sont pas les étrangers qui ont causé ces émeutes, 90 % sont nés français ! En revanche, on constate que les cadres familiaux et éducatifs ont explosé. Une immense majorité des personnes interpellées vient de familles monoparentales ou de l'aide sociale à l'enfance.

Cela montre que le chantier de la famille est essentiel. Ensuite, il y a la place de l'école, de la régulation des écrans, de l'intégration par l'économie et l'emploi.

J'ai parlé de décivilisation il y a quelques mois. C'est bien cela que nous avons vu. Il faut donc s'atteler à reciviliser.

Quand il n’y a plus de cadre, plus d’éducation, plus de rapport à l’autorité qui vous ramène à une forme de raison, vous arrivez à ce résultat-là. Ça ne se gère pas qu’à la matraque !

Pour l'instant, sur l'intégration, n'y a-t-il pas un constat d'échec ? Une partie de la jeunesse issue de l'immigration se retrouve désœuvrée, ni en formation ni en emploi…

La jeunesse des sans-emploi-ni-formation ne concerne pas seulement celle issue de l'immigration. C'est un énorme chantier qui est le cœur de mon second mandat : celui de faire nation. L'école est devenue un sujet régalien. C'est dans les salles de classe que se murmure la France et que s'apprennent nos valeurs. C'est là qu'on l'apprend, qu'on la comprend, qu'on la transmet.

On va continuer à recréer de l'emploi, réindustrialiser, car intégrer suppose de trouver une place dans la société par le travail, remettre du service public au cœur des territoires – on en est à plus de 2 600 maisons France services créées – mais ensuite il y a ce travail en profondeur : l'apprentissage de la langue, le retour de l'autorité du maître à l'école, le travail avec les parents. Rebâtir la nation. Il ne faut pas se tromper, on a besoin de moins d'écrans, et de plus d'école. Quand il n'y a plus de cadre, plus d'éducation, plus de rapport à l'autorité qui vous ramène à une forme de raison, vous arrivez à ce résultat-là. Ça ne se gère pas qu'à la matraque ! Ceux qui pensent cela se trompent.

Il y a quand même dans l'opinion un sentiment très répandu de délitement de l'autorité, voire d'impunité pour les délinquants…

Il a toujours existé. J'entends : ce serait trop lent, trop incertain. Mais on met plus de moyens. On a reformé, réembauché des policiers et gendarmes, des magistrats, des greffiers, des personnels pénitentiaires. Ça nous a pris un quinquennat, c'est le temps de l'action publique ! On commence à avoir plus d'efficacité, on le voit dans les chiffres de la délinquance. Il faut néanmoins une réponse beaucoup plus rapide. C'est par exemple le but de l'amende forfaitaire délictuelle pour ceux qui détiennent des stupéfiants. Il faut plus de présence sur le terrain, et des affaires gérées plus rapidement par la Justice.

Cela n'empêche pas que beaucoup estiment la réponse pénale peu crédible…

Il n'y a pas d'impunité dans notre pays. Je vous l'ai dit, les peines prononcées aujourd'hui sont plus nombreuses et plus dures qu'il y a quinze ans. Il n'y avait simplement pas assez de policiers et de gendarmes, pas assez de magistrats, et des délais de procédure trop longs. Sur ce dernier point, nous avons enclenché beaucoup de simplifications et je crois à la numérisation de la justice que nous avons lancée : elle va peu à peu libérer du temps pour les magistrats et les greffiers. Aujourd'hui, quand un policier ou un gendarme tape un PV, le greffier doit ensuite le retaper… On est au Moyen Âge ! Il faut accélérer l'innovation, la diffusion des technologies pour plus d'efficacité.

Il n’y a aucune violence légitime autre que celle de l’État.

Quand le Conseil d'État suspend la dissolution des Soulèvements de la Terre, ne donne-t-il pas une certaine légitimité à la désobéissance civile, ou même à la violence, au nom d'une noble cause ?

Il n'y a aucune violence légitime autre que celle de l'État. C'est un combat politique que j'assume, car aucun appel à la violence contre les biens comme contre les personnes, quelle qu'en soit la motivation, n'est légitime en démocratie. Il commence d'ailleurs dès le débat verbal. La démocratie donne un cadre aux désaccords. Tous les responsables politiques qui justifient la haine et la remise en cause de nos institutions sont les complices, de fait, d'une forme de violence qu'ils auront un jour à subir. Ceux qui jugent légitime, parce qu'ils pensent que leur combat est légitime, d'insulter un maire ou de décapiter l'effigie du président de la République préparent une société dans laquelle il sera normal de frapper les élus ou de brûler une école.

Sur le cas que vous citez : c'est le rôle légitime du juge, et nous sommes dans un État de droit. La souveraineté nationale est dans la loi votée par le législateur, et le juge n'est que la bouche de la loi. Je défends cet arrêté de dissolution, mais le Conseil d'État est dans son rôle. Gardons-nous de tout confondre et de considérer que l'autorité ou l'efficacité reposerait sur l'affaiblissement de l'État de droit. Vous ne me verrez jamais de ce côté-là. Le juge invite le gouvernement à mieux motiver ses décisions : c'est une force. C'est ce qui nous garde d'un État autoritaire, qui ne respecterait pas les libertés individuelles et collectives.

La crise des démocraties ne serait-elle pas liée au cumul des impuissances à tous les niveaux de décision ?

Il est certain que lorsqu'on surrégule, on crée de l'impuissance, et dans tous les domaines. C'est la même chose quand on parle d'immigration. Nos procédures sont beaucoup trop lentes.

Quand vous avez 10 % de chômage pendant des années, vous n’intégrez pas. C’est ce que la France a vécu dans les années 1980-1990.

À ce propos, vous dites que les émeutes sont avant tout un sujet d'intégration. Mais si la question se pose, c'est aussi qu'il y a eu et qu'il y a encore une immigration substantielle, non ?

Est-ce qu'on est submergés par l'immigration ? Non. C'est faux de dire cela. Cela dit, la situation que nous connaissons n'est pas tenable et nous devons réduire significativement l'immigration, à commencer par l'immigration illégale. Nous avons une obligation de résultat. Pour ce faire, il vaut mieux protéger nos frontières extérieures, européennes, car rappelons-le, la France n'est pas un pays de première entrée en Europe mais surtout d'immigration secondaire pour des étrangers entrés par un autre pays de l'Union européenne.

On doit par ailleurs aussi être plus efficaces dans l'application du droit d'asile, dévoyé par les réseaux de passeurs. C'est au cœur du projet de loi préparé par le gouvernement.

En résumé, oui, il faut réduire l'immigration, mais il faut continuer en parallèle d'agir par l'école, l'intégration, l'autorité, la République. Et l'économie. Quand vous avez 10 % de chômage pendant des années, vous n'intégrez pas. C'est ce que la France a vécu dans les années 1980-1990. Quand vous n'avez plus de force économique, vous vous désintégrez de l'intérieur.

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Est-ce surtout une affaire d'économie ou aussi le fait que l'on accueille parfois des gens en sécession par rapport à nos valeurs ?

Les gens qui sont le plus en sécession par rapport à nos valeurs sont souvent nés chez nous. C'est un combat pour lequel nous avons été intraitables. Le discours des Mureaux, puis la loi sur le séparatisme ont permis de renforcer l'effectivité des principes républicains. Jamais nous n'avons fermé autant d'associations, d'écoles, de structures qui luttaient dans nos villes contre la République. Nous sommes intraitables, et ce combat est loin d'être terminé.

Faut-il revenir sur l'accord franco-algérien de 1968, qui prévoit des avantages spécifiques pour les immigrés algériens, comme vous y invitent certains, y compris dans votre majorité ?

On dit tout et son contraire à ce sujet. Je ne suis guidé à ce propos que par un principe d'efficacité.

Où en est ce projet de loi sur l'immigration ? Repartirez-vous du texte modifié par Les Républicains au Sénat ?

Nous allons, avec la Première ministre, Élisabeth Borne, mandater dès la rentrée le ministre de l'Intérieur pour repartir du projet du gouvernement, échanger avec toutes les forces d'opposition qui vont dans ce même sens et construire un projet le plus efficace possible. C'est le ministre qui aura à faire cheminer, entre le Sénat et l'Assemblée, un texte pour avoir des résultats. Si pour cela il faut enrichir le texte du gouvernement, il aura à bâtir ce chemin avec notre confiance.

Cela éviterait un 49.3…

Je le pense, et je suis pour l'éviter, mais je suis aussi pour utiliser les instruments de la Constitution. Nous avons besoin de résultat et, donc, si un tel texte était bloqué, il ne faut rien s'interdire.

À ce propos, depuis un an que nous avons une majorité relative, j'entends tout et n'importe quoi. Avons-nous été empêchés ? Jamais ! La majorité et des parlementaires constructifs de droite comme de gauche ont permis de faire adopter en un an autant de textes de loi – près de 50 – que sur la même période lors du premier mandat.

On ne peut pas me dire : “C’est une espèce de dictateur qui fait tout passer sans écouter personne” ou “C’est un type qui ne fait plus rien”. Je veux bien entendre tous les reproches mais ce “en même temps”-là ne fonctionne pas.

L'objectif n'est tout de même pas de battre un record de nombre de lois…

Pardon, mais c'est une réalité ! Avec une majorité relative, on aura fait voter la réforme des retraites, les textes budgétaires, les lois de programmation pour la sécurité et les armées, une loi sur le nucléaire, une autre sur le renouvelable, pour accélérer le déploiement de moyens de production d'énergie sur notre sol, et mis en œuvre la réforme la plus importante de l'assurance-chômage depuis des années. Que ceux qui prétendent qu'on n'a rien fait m'expliquent à quel moment ils en ont fait davantage. Bon courage ! On travaille, et le projet sur lequel j'ai été élu avance. On ne peut pas me dire : « C'est une espèce de dictateur qui fait tout passer sans écouter personne » ou « C'est un type qui ne fait plus rien ». Je veux bien entendre tous les reproches mais ce « en même temps »-là ne fonctionne pas.

Sur les retraites, ce n'était qu'une demi-réforme…

Nous avons fait une réforme qui assure la pérennité de notre système de retraite pour des années et nous l'avons fait de manière juste, car les retraités les plus modestes seront gagnants avec cette réforme. Mais qui était pour aller plus loin ? Quelles forces politiques et syndicales ? Aucune. C'est une réforme efficace et juste que j'assume.

Il n'empêche, cette réforme des retraites ne résout pas le problème. Même le COR (Conseil d'orientation des retraites), qui était pourtant optimiste dans ses prévisions, le dit désormais…

Le COR disait que ce n'était pas la peine de faire la réforme quand on la faisait et maintenant dit que cela peut ne pas être suffisant en 2035 ou en 2050. La belle affaire… On est en train de gagner la bataille de l'emploi et de réindustrialiser le pays. Lorsqu'on aura accru la quantité de travail, on aura réglé notre problème. Le cœur de la bataille économique, c'est ça.

5/5. Le chef de l'État dévoile son « initiative politique » pour la rentrée. Et n'exclut pas de recourir au référendum.

Emmanuel Macron : « Je présiderai jusqu’au dernier quart d’heure »

Avant son départ en vacances, Emmanuel Macron avait annoncé qu'il prendrait « une initiative politique d'ampleur » fin août. Il en dit plus dans nos colonnes à l'occasion du grand entretien qu'il a accordé au Point le 17 août au fort de Brégançon. Le chef de l'État répond également vertement à la charge de notre éditorialiste Nicolas Baverez contre son action, dans Le Point n°2662 du 10 août 2023. « Facile et imprécis », juge le président. Nous lui avons également demandé ce qu'il aimerait que les Français retiennent de son passage à l'Élysée.

Le Point : Vous avez annoncé une initiative politique…

Emmanuel Macron : Oui, notre nation traverse un moment que je juge inédit. La Première ministre, Élisabeth Borne, aura, avec ses ministres, à continuer le travail parlementaire et réunira l'exécutif pour continuer d'agir et de faire avancer les grands dossiers. 

Mais face aux grands bouleversements géopolitiques, climatiques, technologiques, face aux épreuves que notre pays a encore vécues récemment et aux risques de division, je considère que ma responsabilité est de proposer à toutes les forces politiques représentées dans nos Assemblées d'essayer d'agir ensemble. C'est pourquoi je veux les réunir à propos de la situation internationale et de ses conséquences sur la France et à propos des nuits d'émeutes que nous avons connues, avec pour objectif de prendre des décisions pour renforcer l'indépendance de notre pays et de rebâtir notre nation et tout ce qui la tient : la famille, l'école, le service national universel, la transmission de notre culture, notre langue, la régulation des écrans. Mais aussi notre organisation et nos institutions dans tous les territoires. 

Fort de Bregancon 17/08/2023 Emmanuel Macron © @Elodie Gregoire / Elodie Gregoire

Je suis sûr que nous pouvons bâtir des accords utiles pour la France sur ces sujets. En tout cas, j'y mettrai toute ma volonté. Sortiront de ces travaux des décisions immédiates, des projets et des propositions de lois mais aussi des projets de référendums. 

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À l'Élysée, pour une grand-messe  ?

Je convierai les principaux responsables politiques de notre pays dans un lieu en région parisienne dès la semaine prochaine. 

Pourquoi ne pas avoir tiré des leçons de cette majorité relative il y a un an, en élargissant votre majorité par un accord politique  ?

La difficulté, c'est que les forces politiques le plus proches de nous ne sont pas unies  ! Ni les socialistes, qui sont d'ailleurs divisés entre ceux qui ont choisi de s'inféoder à l'extrême gauche à travers la Nupes et ceux qui n'y croient pas, ni Les Républicains, qui sont eux aussi tiraillés entre, d'un côté, des LR proches de la majorité présidentielle, qui d'ailleurs auraient voté la réforme des retraites, et, de l'autre, ceux qui sont sur une autre logique, dans des circonscriptions où ils ont gagné à quelques centaines de voix près face au RN, et qui sont plus proches de l'alliance des droites. C'est aussi pour cela que je pense, compte tenu du moment que nous vivons, qu'une initiative politique est indispensable.

En résumé, les oppositions compatibles sont trop divisées, et il n'y a aucune coalition parlementaire possible qui nous donnerait la majorité absolue. On ne peut constituer que des majorités de projet, ce qui n'est pas grave  ! La preuve, ça marche depuis un an. N'oublions pas que la France a été réformée entre 1958 et 1962 avec une majorité relative. 

Le référendum fait toujours partie des options qui peuvent être utilisées et je compte bien y avoir recours.

Pourquoi ne pas utiliser, ainsi que le suggèrent certains, des outils de la Constitution comme le référendum ou la dissolution  ?

Le référendum fait toujours partie des options qui peuvent être utilisées et je compte bien y avoir recours. Mais en dehors de cela, avec les bonnes volontés, le gouvernement ira chercher des majorités sur chaque texte. Et si un projet est considéré comme important, la responsabilité du gouvernement peut légitimement être engagée. On n'a pas le droit de trahir la confiance du peuple. Et on n'a pas le droit de rester assis dans un monde qui accélère. La dissuasion nucléaire a été adoptée en ayant recours au 49.3… 

Je ne me sens pas du tout lame duck. J’ai été réélu il y a à peine plus d’un an pour un mandat de cinq ans… Je présiderai jusqu’au dernier quart d’heure.

Aux États-Unis, il y a une formule pour décrire l'impuissance des présidents en cours de deuxième mandat, qui ne peuvent donc se représenter : «  lame duck  ». En français, «  canard sans tête  »…

Je ne me sens pas du tout lame duck. J'ai été réélu il y a à peine plus d'un an pour un mandat de cinq ans… Je présiderai jusqu'au dernier quart d'heure. J'ai le suffrage démocratique, les institutions et l'énergie pour cela.

La une du «  Point  » du mois dernier, dont le titre était «  Y a-t-il encore un président  ?  », vous a-t-elle énervé  ? Notamment les critiques de Nicolas Baverez…

Non… Si je m'énervais des unes de presse, j'aurais eu de quoi faire, en six ans… J'en ai néanmoins trouvé le contenu facile et imprécis. La réforme de l'État est présentée de manière franchement caricaturale. Beaucoup ont dit qu'il fallait supprimer l'ENA. Je l'ai fait  ! J'ai remis de la force et de la vitalité dans la haute fonction publique, à laquelle je crois et d'où je viens. Et j'ai réintroduit de l'ouverture et de la méritocratie. Alors écrire dans vos colonnes que j'aurais démantelé la diplomatie et l'institution préfectorale, c'est une honte. Ce n'est pas à la hauteur de l'esprit qui l'a écrit. J'ai simplement mis fin à des corps dans lesquels on pouvait entrer à vie dès après ses études au profit d'une gestion fonctionnelle des emplois qui répond aux besoins d'expertise d'une administration moderne. Car l'une des maladies françaises, c'est celle du corporatisme, et sans doute les critiques exprimées en sont-elles le reflet dramatique. Voir dans vos colonnes un ancien serviteur de l'État défendre le corporatisme en expliquant qu'on aurait détruit l'État, j'ai trouvé ça à la fois triste et, un peu, une trahison de l'esprit libéral de votre journal. Il faut choisir la caricature que l'on fait. On ne peut pas être une grande brute qui décide de tout et un type qui ne fait rien. Je ne suis ni l'un ni l'autre. Notre pays a besoin d'être présidé, les Français attendent cela de moi. Il faut assumer les désaccords, les expliquer. Mais il faut décider. 

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Justement, vous avez presque quatre années devant vous. Que voulez-vous faire d'important  ? Que voudriez-vous que l'on se rappelle de ce mandat, que l'on dise de vous  ? 

Les cycles font qu'on ne retient jamais la trace, qu'elle varie avec le temps. [Silence.] J'aimerais qu'on dise : «  Il nous a rendus plus forts, il nous a rendus plus fiers.  » Je voudrais qu'on dise  : «  Il s'est battu, même si on n'était pas d'accord avec tout  » ; « Il a respecté ses engagements  ». Et que l'on retienne ce combat pour rebâtir notre nation, son indépendance, son chemin. 

La condition de ce legs politique auquel vous aspirez, c'est de ne pas être raccompagné par Marine Le Pen sur le perron de l'Élysée en 2027… 

Je voudrais qu'il puisse, effectivement, y avoir à ma suite une femme ou un homme qui porte les valeurs de la République et, je l'espère, de la France et de l'Europe dans quatre ans. 

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Vous allez vous y investir  ?

Bien sûr, je considère que c'est ma responsabilité. Si nous rendons cette France plus juste, plus forte, si nous menons le combat de l'école, de la santé, de l'écologie, de la refondation de la nation, alors il y aura une continuité au dépassement politique que j'ai rendu possible en 2017. 

À propos de recomposition politique, la tripartition politique, avec un gros bloc central, est-elle durable ou souhaitable  ?

Elle a vocation à durer. Si le môle central que j'ai rassemblé se divise, le risque, c'est de ne pas être au second tour. C'est ça la réalité. Ce n'est pas le président ou le candidat qui fait la vie politique, ce sont les Françaises et les Français. On m'a fait beaucoup d'honneur en disant que j'avais fait exploser le système politique. Ce sont les Françaises et les Français qui ont fait exploser le système politique et m'ont mis là comme une créature des événements. La condition pour que les valeurs que je porte perdurent, c'est que les forces républicaines travaillent ensemble : les sociaux-démocrates, les centristes, les écologistes, la droite libérale et la droite républicaine. Ceux qui ont des ambitions ne doivent pas l'oublier. Il faudra dans quatre ans veiller à cette unité. Et ce sera aussi ma responsabilité. 

Je suis toujours insatisfait, donc je vois plutôt ce qui n’est pas bien fait. C’est ce qui rend inquiet et c’est ce qui donne de l’énergie.

Est-ce que vous êtes content de vous  ? 

Je n'ai pas le temps de l'être ou pas. Ce n'est pas mon tempérament. D'abord, je suis toujours insatisfait, donc je vois plutôt ce qui n'est pas bien fait. C'est ce qui rend inquiet et c'est ce qui donne de l'énergie. J'essaie d'avoir un optimisme lucide. Je défends avec beaucoup de force ce que j'ai bien fait. Mais je reconnais ce qui a été mal fait et j'essaie de le corriger. 

La critique qui vous blesse le plus  ? 

Ce n'est pas le sujet. On apprend l'indifférence. Ce qui n'est pas le mépris : il faut écouter les critiques qui vous font progresser, et ne pas trop prêter l'oreille aux cris de chaque jour.