Éric Ciotti: «Il y a des différences fondamentales entre la droite et la gauche, dans ce pays. C’est une réalité historique que nous avons vue dans le débat sur l’immigration. Vouloir nier ces différences comme le fait depuis 2017 Emmanuel Macron est une erreur.» François BOUCHON/Le Figaro

Politique

«Ce que nous avons fait sur le régalien, nous le ferons sur l’économie», annonce le chef des Républicains, promettant de soumettre le projet de LR au référendum en cas de retour au pouvoir en 2027.

Le Figaro - 22 décembre 2023 - Par Claire Conruyt et Emmanuel Galiero

LE FIGARO. - Dans nos colonnes, Laurent Wauquiez salue votre présidence à la tête de LR. Comment s’est-il impliqué dans la stratégie de la droite sur l’immigration?

Éric CIOTTI. - J’ai échangé fréquemment avec Laurent Wauquiez avant et pendant cette bataille. Je le remercie pour son soutien de tous les instants.

Quel bilan politique tirez-vous du long débat parlementaire ayant abouti au vote de la loi immigration?

Nous avons donné aux Français un texte utile qui améliore les dispositifs existants pour mieux lutter contre l’immigration illégale et les flux migratoires. Ce texte, nous le devons aux LR, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. J’observe une véritable explosion de la majorité, confrontée au poison du «en même temps», et je déplore le spectacle affligeant d’un ministre de l’Intérieur qui tente de dissuader les députés de voter une loi qu’il a présentée, et du président de la République lançant un quasi-appel au Conseil constitutionnel pour mettre politiquement à bas une réforme qu’il prétend soutenir. Comment voulez-vous que notre démocratie n’en sorte pas abîmée? Le pouvoir avance aveuglément dans l’inconnu. L’heure de la clarification est venue.

Par quoi cette clarification peut-elle passer?

Je demande à ce pouvoir d’avoir du courage. Le président de la République et sa première ministre sont terrorisés par les commentaires aussi définitifs que caricaturaux de la gauche politique et médiatique. Quelle déconnexion, quand on sait ce que les Français attendent! Nous avons imposé un texte courageux à un gouvernement qui ne l’est pas. Au lieu d’appeler au secours le Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron devrait plutôt soumettre au vote des Français une grande réforme constitutionnelle afin d’entendre et d’appliquer ce que veulent nos concitoyens. Il n’y aurait rien de plus tragique que des combinaisons de couloir pour déconstruire ce que la France réclame dans son immense majorité: moins d’immigration.

Que resterait-il du texte après les censures du Conseil constitutionnel?

Je ne veux pas préjuger des décisions du Conseil. J’espère qu’il sera à l’abri des insupportables pressions politiques et médiatiques qu’il subit, notamment de la part du président de la République. Je demande aux Sages de juger en droit, et rien qu’en droit!

Comment clamer une place centrale de la droite quand l’opinion ne la voit pas comme une alternance ?

Lorsque, avec Olivier Marleix, nous avons décidé de déposer une motion de rejet et de la voter, nous avons inversé le cours des choses. Nous avons permis une nouvelle discussion sur la base de notre texte voté au Sénat. Nous avons ainsi démontré notre capacité à proposer des textes cohérents et à les faire adopter. Je note l’unanimité des votes dans nos groupes, à l’Assemblée comme au Sénat sous l’autorité de Gérard Larcher et Bruno Retailleau. La méthode adoptée et le résultat obtenu marquent un tournant pour Les Républicains. Depuis un an, je m’emploie, minute par minute, à redresser notre famille politique. Qui peut dire que sur ce sujet, LR n’a pas retrouvé une place majeure? Maintenant, ce que nous avons fait sur le régalien, nous le ferons demain sur l’économie ou sur d’autres sujets.

Si le pouvoir ne peut désormais plus se passer de la droite, ne sommes-nous pas dans une cohabitation inavouée?

Nous sommes dans l’opposition et j’ai été élu pour m’opposer à une politique qui a échoué dans de si nombreux domaines. À moyen terme, notre mission est de conduire une alternance salutaire pour le pays.

Dites-vous que votre opposition sera désormais plus frontale?

Nous servirons toujours l’intérêt général du pays, mais sans concessions ni compromissions. Nous avons des convictions. Pour ma part, elles n’ont jamais changé et ne sont pas fluctuantes. Nous les défendrons sur la base du succès enregistré sur le texte migratoire.

Je veux que les points les plus forts de notre projet soient validés par un référendum, dès notre arrivée au pouvoir

Éric Ciotti

Remaniement, dissolution… À quelle suite vous attendez-vous?

C’est au président de la République et à la majorité de gérer leurs frondeurs. Le pouvoir actuel est en train de se «hollandiser». Ce n’est pas notre sujet. Le «en même temps» nous a conduits à l’explosion de l’insécurité, à des records migratoires ; le «quoi qu’il en coûte» nous a amenés à financer par l’impôt et les taxes une montagne de dettes. Ces deux slogans fondateurs du macronisme n’apportent rien de bon à notre démocratie et sont les annonciateurs d’un naufrage si l’on n’y met pas un terme.

Un premier ministre ex-LR, Bruno Le Maire ou Sébastien Lecornu, peut-il mener cette mission?

Ce n’est pas une question de personne, c’est une question de ligne et de convictions. Tant que le président de la République fera le grand écart, la majorité sera victime d’élongation.

L’adoption du texte a été permise par les voix LR mais aussi RN. Cela traduit-il l’union des droites?

Le RN s’est opposé au texte durci par le Sénat, et il n’a fait adopter aucun amendement ni au Sénat, ni lors de la CMP. M. Bardella a dit le jour même de l’examen du texte qu’il fallait s’y opposer. Finalement, c’est l’inverse qui a été fait. Cela résulte d’un coup politique. C’est la théorie du coucou qui pond ses œufs dans le nid des autres. Je n’en tirerai aucune autre conclusion.

Y voyez-vous aussi le retour du clivage gauche-droite?

Il y a des différences fondamentales entre la droite et la gauche, dans ce pays. C’est une réalité historique que nous avons vue dans le débat sur l’immigration. Vouloir nier ces différences comme le fait depuis 2017 Emmanuel Macron est une erreur.

La droite risque-t-elle d’être prisonnière entre la macronie et du RN?

La mâchoire macronienne n’existera plus avec le départ d’Emmanuel Macron. Ses héritiers, qui commencent à se déchirer avec violence, seront comptables d’un bilan dont les Français mesurent la médiocrité. Nous avons une immense place à retrouver et nous devons offrir une alternative au programme économique de Marine Le Pen qui s’est alignée sur celui de Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes les seuls à pouvoir conjuguer un projet régalien qui ne cède rien au politiquement correct et un programme de redressement économique audacieux qui évite le déclassement de la France. Nous avons eu des fuites électorales et je travaille activement à inverser ces flux. Les électeurs de la droite républicaine partis vers Marine Le Pen, parce qu’ils nous ont reproché de ne pas avoir passé le Karcher assez fort, ou ceux qui sont partis vers Emmanuel Macron, séduits par son discours économique, doivent revenir chez nous. Je leur dis que nous n’aurons plus aucune pudeur notamment au plan de l’immigration et de la sécurité.

Que dire à un sympathisant qui hésite à accorder sa confiance aux Républicains?

J’entends et je comprends ces doutes. La méthode que nous avons utilisée et le contenu du texte que nous avons fait approuver sur l’immigration doit apporter une première réponse sur le fait que la droite a changé, elle est à l’offensive. La France pense à droite. La France a besoin de la droite. Les Français ont envie de nous faire confiance mais beaucoup doutent encore parce que nous les avons déçus. Le défi que je dois relever, c’est de lever ces doutes. C’est pour cela aussi que je veux que les points les plus forts de notre projet, aussi bien sur le plan économique que régalien, soient validés par un référendum, dès notre arrivée au pouvoir. Aux Français qui hésitent, je dis: nous allons vous proposer un projet qui n’aura jamais été aussi puissant. J’ai confié cette mission à Emmanuelle Mignon, et ce projet, c’est vous qui l’approuverez. Il faut revenir à l’esprit de la Ve République. La crise de la démocratie représentative doit trouver un remède dans la sollicitation plus fréquente de la confiance des Français. M. Macron a peur de donner la parole au peuple, c’est une différence majeure avec nous.