"A ceux qui disent qu’une augmentation du smic risque de détruire de l’emploi je réponds que les entreprises franciliennes sont d’ores et déjà contraintes de proposer des salaires au-dessus du smic pour recruter", écrit Valérie Pécresse dans une tribune à L’Express. AFP

Tribune

La présidente de l’Ile-de-France, qui souhaite augmenter le salaire minimum dans sa région, répond à ses détracteurs, qui estiment qu’une telle proposition aurait pour conséquence de détruire de l’emploi.

L'Express - 28 septembre 2023 -

Je vois que ma proposition de mettre en place un smic spécifique à l’Ile-de-France pour assurer une égalité de pouvoir d’achat aux travailleurs essentiels de la région suscite beaucoup de débats, et je m’en félicite : cela prouve que c’est un sujet qui mérite que l’on s’en empare.

Je note que si certains économistes critiquent cette proposition, nous sommes d’accord sur le constat : le coût de la vie en région Ile-de-France est bien plus élevé qu’ailleurs. L’Insee relève que les prix franciliens en 2022 dépassaient de 7,2 % en moyenne ceux du reste de la France métropolitaine. Un exemple : le logement. La location d’un studio à Créteil, en Ile-de-France, absorbe plus de la moitié d’un smic, alors qu’à Limoges, en Nouvelle-Aquitaine, elle ne représente que 25 %. C’est aussi le cas pour les dépenses alimentaires. Face à cet état de fait, je propose une négociation spécifique du salaire minimum de la région-capitale en application de la loi de décentralisation, qui permet cette différenciation territoriale si l’Etat l’accepte. Pourquoi ? Parce que je refuse qu’au nom d’une pseudo-égalité, qui n’est en réalité que de façade, on se taise sur les injustices réelles. Je ne me résigne pas à ce qu’en Ile-de-France les fins de mois soient plus difficiles qu’ailleurs. Ce qui est inéquitable, ce n’est pas ma proposition, mais la situation actuelle et le statu quo !

Au fond, je vois que l’on touche ici au mal français qui ronge notre société et stérilise nos débats : partager tous un constat et refuser toute différenciation dans les solutions. Refuser toute expérimentation par principe. A ceux qui disent que c’est inconstitutionnel je rappelle utilement que le smic était régionalisé avant 1968. Ce que je propose n’est pas un retour en arrière, c’est une différenciation spécifique pour une région homogène qui constitue un bassin d’emploi unique et cohérent, l’Ile-de-France. Cette différenciation entre l’Ile-de-France et les autres régions existe déjà dans les faits : le salaire mensuel médian francilien est de 2 265 euros net, selon les derniers chiffres de l’Insee (2018), soit près de 400 euros de plus que le salaire médian dans le reste de la France. Et pourtant le smic est identique !

A ceux qui disent qu’une augmentation du smic risque de détruire de l’emploi je réponds que les entreprises franciliennes sont d’ores et déjà contraintes de proposer des salaires au-dessus du smic pour recruter. Elles le font d’ailleurs dans de nombreuses branches. En revanche, avec le coût de la vie en Ile-de-France, les services publics ont de plus en plus de mal à recruter des agents de catégorie C, comme les aides-soignants, les agents d’entretien ou de sécurité. Je ne souhaite pas détruire nos emplois essentiels, bien au contraire, je souhaite les pourvoir. Je rappelle que nous ne sommes pas au plein-emploi en Ile-de-France, malgré 530 000 projets de recrutement à des postes dont beaucoup sont considérés comme difficiles à pourvoir par les employeurs eux-mêmes…

Alors je ne me résous pas à me contenter de partager un constat sans agir. Je revendique le droit à une différenciation, à une exception francilienne qui puisse être en cohérence avec les réalités de mon territoire. Que les employeurs privés mais surtout publics soient conduits à payer dignement les salariés franciliens, que leur reste à vivre leur donne une "parité de pouvoir d’achat" avec ceux des autres régions, c’est une question de justice.

Aussi, je demande à l’Etat de me donner la possibilité d’agir dans ce domaine en réfléchissant ensemble sur les modalités et sur les ressources. Cela pourrait passer par une première grande conférence régionale sur les bas salaires avec les partenaires sociaux. Osons nous attaquer ensemble aux problèmes du quotidien des Franciliens ! Quant à l’économiste Gilbert Cette, qui propose que "la région paie" à la place des entreprises, en écho à la célèbre phrase de François Hollande – "Ça ne coûte rien, c’est l’Etat qui paie" –, je lui rappelle que, derrière la région, il y a toujours un contribuable qui finance ! Augmenter les taxes des Franciliens pour augmenter les salaires ne me paraît pas être la réponse la plus efficiente au problème…