Portrait de Laurent JOFFRIN (Photo Philippe-Matsas, 2020)

Edito

Au lieu de tenir un langage rationnel, les leaders des partis s’enferment dans des postures avantageuses et, par voie de conséquence, irresponsables. Passeport pour le désastre…

LeJournal.info - 13 octobre 2025 - Par Laurent Joffrin

Les socialistes ont raison de demander des concessions à un pouvoir macroniste qui est tout sauf majoritaire dans le pays, d’autant que la grande majorité des Français sont hostiles à la réforme des retraites. Mais pourquoi diable le font-ils sur ce ton comminatoire ? « Suspension immédiate et complète, ou censure », dit Olivier Faure. Sur le fond, il a raison : une suspension incertaine ou partielle ressemblerait à une entourloupe. Mais sur la forme ? Abrupte, impérative, humiliante, la formule revient à mettre un pistolet sur la tempe de Sébastien Lecornu. Signez, ou nous tirons. On se croirait dans une scène du Parrain.

Inévitablement, l’autre camp, celui de LR, récuse ce qui est présenté comme une calamiteuse reddition. Abandonner la réforme, dit Valérie Pécresse, serait « une capitulation ». Autrement dit, si le gouvernement Lecornu fait une concession aux socialistes, il est composé de « capitulards ». Toujours cette culture de l’affrontement automatique, du choc des égos et des dogmes, de l’outrance et de l’invective, en décalage total avec la composition de l’Assemblée (choisie par les électeurs), qui suppose un minimum d’humilité et de souplesse.

Au vrai, comme le remarque le nouveau prix Nobel d’économie, Philippe Aghion, il s’agit de renvoyer l’application de la réforme au choix des électeurs de la prochaine présidentielle, qui aura lieu dans dix-huit mois. En attendant, elle serait gelée pour un coût inférieur à deux milliards d’euros. Ses adversaires seraient satisfaits ; ses partisans pourraient espérer prendre leur revanche en gagnant la présidentielle et réformer cette fois les retraites avec l’onction du suffrage universel. Compromis fort honorable.

L’autre solution transformera ses auteurs en arroseurs arrosés : la chute du gouvernement Lecornu II, suivie par une inévitable dissolution, ne réjouira que la droite et la gauche radicale ; les macronistes seront laminés ; la droite, toute fière de son intransigeance, smais gravement divisée, sortira du scrutin lessivée ; le PS devra expliquer aux électeurs de la gauche républicaine pourquoi ils font alliance avec LFI après avoir été copieusement insultés par Mélenchon, proposant ainsi aux électeurs, non une voie sociale-démocrate, mais une équipée sociale-masochiste.

Restera debout, impavide, conquérant et tranquille, le Rassemblement national, que la France insoumise prétendra battre alors qu’elle en aura été l’alliée objective. Voilà où mène l’archaïsme de cette classe politique, qui n’a toujours pas compris que dans la Vème République, un Parlement sans majorité change les règles du jeu et demande plus d’intelligence politique.