Politique

Le président d'Altermind*, Mathieu Laine,  se livre à une ­comparaison des programmes économiques des trois compétiteurs de droite.

Le Figaro- Débats et Opinions - 17 octobre 2014

Comme dans Les Frères Karamazov, la droite française est devenue le théâtre d'un affrontement fratricide entre trois visions. La confrontation ne se joue pas ici sur Dieu, le libre arbitre ou la moralité (quoique !) mais sur l'intensité dans la réforme et la méthode parvenant à enrayer la chute permanente de notre pays et sa dislocation sociale.

Au premier regard, les compétiteurs ont, avouons-le, de quoi nous inquiéter : tous ont été, ces vingt dernières années, longtemps au pouvoir (près de quinze ans pour François Fillon, neuf ans pour Alain Juppé, douze ans pour Nicolas Sarkozy). Deux ont été premier ministre ; le troisième a même été président de la République. Et, objectivement, on comprend que chacun évite de revenir sur son bilan car aucun n'a vraiment été à la hauteur des réformes exigées. La France ne serait d'ailleurs pas dans un tel état si tous n'avaient communié au social-étatisme fait d'augmentation de la dépense publique, de la dette et de la pression fiscale.

À y regarder de plus près, nos trois « faux frères » marquent quelques différences notables. Si l'interventionnisme brouillon de Nicolas Sarkozy, clamant pourtant avoir changé, vieilli et mûri, n'a manifestement pas pris une ride, Alain Juppé demeure adepte d'un réformisme encore trop tranquille au moment même où François Fillon, comme touché par la grâce ou éclairé par les vertus d'une stratégie de différenciation, s'arrache à son costume autrefois modéro-souverainiste pour assumer enfin un réformisme qu'il qualifie lui-même de « radical ».

S'il affirme vouloir « tout changer », Nicolas Sarkozy a déçu bon nombre de ceux qui croyaient en lui en 2007 par la timidité et la faible originalité de ses premières propositions. Car en plaidant pour le rétablissement de la défiscalisation des heures supplémentaires, pour un départ à la retraite à 63 ans et pour une diminution non encore chiffrée des prélèvements obligatoires, tout en refusant expressément de revenir sur les 35 heures et de supprimer l'ISF, il apparaît pour le moment comme peu innovant et moins audacieux que ses adversaires. Quand il entend remplacer le recrutement systématique sous statut de fonctionnaires par des CDD de cinq ans dans la fonction publique et rétablir le non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux, il marque un demi-pas vers le réformisme, mais semble ne pas avoir conscience de l'urgence de la situation. Sa conversion au principe de responsabilité, qu'il préfère enfin au désastreux principe de précaution, et son plaidoyer pour le gaz de schiste redorent un blason bien pâle sur la palette du réformisme.

Alain Juppé va ainsi plus loin que lui en appelant clairement à sortir du « carcan des 35 heures ». Il ajoute que le coût du travail doit être réduit, le Code du travail simplifié, l'ISF supprimé, ainsi qu'une partie des charges pesant sur les entreprises. Sur le plan budgétaire, il prévoit une réduction de la dépense publique de 57 à 50 % du PIB en cinq ans, impliquant 100 milliards d'euros d'économies, essentiellement sur les dépenses sociales et via le non-renouvellement de deux fonctionnaires sur trois.

À ce réformisme tempéré mais réel, destiné à ne pas heurter voire paralyser (Alain Juppé en sait quelque chose !) une société fragile et capricieuse, François Fillon préfère désormais le « réformisme radical ». Il assume sa mue et pose, en homme libre, son diagnostic et ses propositions sous le signe de la vérité et d'une exigence morale. C'est ainsi qu'il entend passer, dans les toutes premières semaines suivant l'élection présidentielle, le temps de travail de 35 à 39 heures et l'âge légal de la retraite à 65 ans. La dégressivité des allocations chômage sera accrue, l'ISF supprimé, l'impôt sur les sociétés passera de 33,3 % à 25 %, la taxation du capital deviendra incitative pour les entrepreneurs et les investisseurs, et les charges sur les entreprises seront réduites de 50 milliards d'euros. L'impôt sur le revenu des ménages sera baissé au bénéfice d'un élargissement de l'assiette. Ces mesures seront financées par une hausse de 3,5 points de la TVA et par le regain d'activité, et donc de rentrées fiscales, créé par cette authentique politique de l'offre. Craignant avec lucidité que la France soit « à la veille d'un accident financier grave », François Fillon propose d'économiser 110 milliards d'euros en cinq ans en supprimant entre 500 000 et 600 000 fonctionnaires, ce qu'a fait l'Angleterre entre 2009 et 2013. Ce pays, qui a baissé les impôts quand nous les avons augmentés tout en pariant sur la souplesse du droit du travail, atteint aujourd'hui 3 % de croissance et a vu son taux de chômage tomber à 6 %.

Alors qu'une majorité de Français aspire désormais à la réforme, la droite doit sortir les candidats les moins audacieux et oser enfin la rupture. Dans le cas contraire, comme dans le roman de Dostoïevski, un quatrième fils, Manuel Valls, notre Smerdiakov contemporain, enfant illégitime de la gauche réformiste et de la droite autoritaire, pourrait bien, s'il peut et ose enfin réformer en profondeur - ce qu'il n'a pas encore fait - sérieusement braconner au centre et à droite. En politique comme en économie, la concurrence a du bon. Il reste deux ans pour que chacun muscle ses ambitions : que le plus réformateur gagne !

MATHIEU LAINE