Nommé il y a un an à la tête des armées françaises après la démission de Pierre de Villiers, cet officier d'infanterie de marine met son expérience de l'action au profit d'une réflexion constante.
Le Figaro Premium - 13 juillet 2018 - Par Jean-Marc Gonin © CréditPhotos : Georges Mérillon
Avec ce physique-là, François Lecointre aurait pu faire du cinéma. Grand, svelte, une carrure d'athlète, une «belle gueule» soulignée par des yeux bleu acier: un Burt Lancaster français. Pourtant, il n'aurait pas trouvé sa place dans le septième art: le chef d'état-major des armées, le «Cema» dans le jargon militaire, est trop discret et pudique pour les sunlights, les interviews et les premières.
La gloire, François Lecointre l'a connue en bravant le danger les armes à la main, en tant que capitaine au 3e régiment d'infanterie de marine (RIMa) dans le cadre des forces onusiennes. C'était lors de la reprise du pont de Vrbanja, à Sarajevo, le 27 mai 1995. Des Casques bleus français y avaient été pris en otage par les Bosno-Serbes. Hors de lui, Jacques Chirac avait ordonné qu'on les libère par la force. Une section menée par le lieutenant Heluin, subordonné du capitaine Lecointre, avait donné l'assaut. Lorsque le jeune officier fut blessé, François Lecointre prit lui-même la tête des soldats jusqu'à la victoire. Deux marsouins du 3e RIMa perdirent la vie dans ce qui est considéré comme le dernier combat «baïonnette au canon» de l'armée française. Pour cet acte de bravoure, le capitaine Lecointre, 33 ans à l'époque, avait été fait chevalier de la légion d'honneur deux semaines plus tard.
Éviter le pire
À 56 ans, celui qui arbore désormais cinq étoiles sur sa vareuse contemple sa carrière comme la chronique des conflits auxquels la France a pris part, soit comme belligérante, soit comme force d'interposition. Le général Lecointre les a tous connus, sur le terrain ou depuis l'état-major: Irak, Somalie, Djibouti, Rwanda, Bosnie, Côte d'Ivoire, Afghanistan, Mali, Syrie. Quand son interlocuteur tente de l'amener sur le terrain d'une armée française qui incarna l'humanitaire des années 1980-1990, François Lecointre réagit vivement: «Quelle que soit l'opération, nous sommes restés des soldats. Les Français n'ont jamais été en posture de paix. Notre mission consistait au maintien de la paix et nous n'avons pas hésité à utiliser la force si nécessaire, comme ce fut le cas à Sarajevo.» Pour lui, les mandats que la France a reçus de l'ONU consistaient à éviter le pire, à empêcher que des situations de guerre dégénèrent. «Nous avons contribué au retour du droit et d'une vie civile normale», insiste-t-il. Et d'illustrer son propos par une comparaison éclatante: «Aujourd'hui, mieux vaut habiter Sarajevo que Grozny.»
François Lecointre est un soldat. Par vocation, par patriotisme et par éthique
François Lecointre est un soldat. Par vocation, par patriotisme et par éthique. Très tôt, il a choisi le métier des armes. Comme l'homme parle difficilement de lui-même, il ébauche quelques pistes. La plus évidente est celle de la famille. Né d'un père officier de marine - l'amiral Yves Lecointre, qui commanda le Redoutable, premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins français -, le Cema compte d'autres militaires dans sa famille. Un oncle paternel, amiral lui aussi. Et surtout un grand-père officier qui connut l'étrange défaite de 1940, la captivité en Allemagne et les combats de la Libération. Et enfin, douloureuse mémoire familiale, un oncle maternel saint-cyrien mort à 23 ans brûlé vif en Algérie après avoir fait passer ses hommes devant lui pour leur sauver la vie. Cette généalogie constellée de galons et d'étoiles a certainement constitué une sorte de «destinée», comme il l'appelle lui-même.
Questionnement constant
Tout naturellement, ses études secondaires au Prytanée militaire de La Flèche l'ont conduit droit à Saint-Cyr-Coëtquidan. Mais le général Lecointre insiste sur l'étape précédente, le collège Saint-François Xavier de Vannes. «Le passage chez les jésuites m'a beaucoup aidé, dit-il. Leur enseignement passe par le questionnement.» Une pédagogie qui l'a tellement marqué que ses quatre filles ont fréquenté le collège et lycée Madeleine-Daniélou de Rueil-Malmaison, un des établissements les mieux côtés en France.
Le questionnement à la manière des jésuites semble ne l'avoir jamais quitté. Car celui qu'Emmanuel Macron a présenté comme un «héros» quand il l'a nommé Cema en remplacement du général de Villiers (qui avait démissionné avec fracas en juillet 2017 parce que le budget des armées avait subi une coupe soudaine) est aussi un intellectuel en réflexion constante sur son métier, la mission des armées et leur devenir dans une société en rapide transformation. Ceux qui ont étudié, servi ou servent encore à ses côtés sont unanimes: François Lecointre est brillant. Il brille, certes, mais sans morgue et sans distance. Quand il explique sa pensée à son interlocuteur, il est pédagogue. Il n'hésite pas à dessiner un croquis sur un carnet pour clarifier son propos et cite les meilleurs auteurs pour appuyer son argument.
« C'est un chef comme il en existe peu »
Colonel Patrik Steiger, porte-parole des armées
«C'est un chef comme il en existe peu», dit le colonel Patrik Steiger, aujourd'hui porte-parole des armées après avoir été son chef d'opérations dans le dispositif Licorne en Côte d'Ivoire (2006-2007). Un de ses condisciples à «Coët» se souvient d'un élève officier sympathique et intellectuellement impressionnant mais «rarement prêt à la déconne». Un jeune officier, un de ses actuels subordonnés, explique combien le général Lecointre pousse son entourage à lire, à se cultiver, à réfléchir. On retrouve ce trait de caractère dans la revue de l'armée de terre Inflexions qu'il a contribué à fonder, qu'il a dirigée et dont il est resté très proche. «Nous voulions créer un espace de réflexion et de dialogue, associant à parité civils et militaires, dit-il. Et encourager les officiers à écrire.» Le général Lecointre salue au passage les évolutions du statut des militaires qui leur ont permis de grandes avancées en matière de liberté d'expression. Lui-même adore lire et écrire et dit admirer de grands anciens comme de Gaulle et Lyautey. Parmi ses livres de chevet, il cite Lucien Leuwen, de Stendhal, et Le Hussard sur le toit, de Giono. Puis il évoque dans le même souffle Vendredi ou les Limbes du Pacifique, de Tournier, avant d'avouer son intérêt pour les travaux philosophiques de Bachelard.
En l'accompagnant au Burkina Faso et au Mali dans le cadre d'une visite à l'opération Barkhane, on découvre le Cema sous un autre visage, celui d'un homme de terrain proche de la troupe. Durant sa «tournée des popotes», aussi bien sur la gigantesque base de Gao qu'auprès des légionnaires de la 13e demi-brigade de Légion étrangère déployés dans un oued sous une chaleur brûlante, le général Lecointre fait montre de proximité avec les soldats. Il les interroge sur leurs conditions de vie, la fiabilité de leur matériel, la qualité des communications qu'ils utilisent. Il s'attarde également aux côtés de jeunes officiers maliens en détachement auprès des forces françaises. Il reconnaît l'un d'entre eux qu'il avait contribué à former lorsqu'il dirigeait la mission de formation de l'Union européenne au Mali en 2013.
Un an après sa nomination, est-il parvenu à dissiper le malaise des officiers français consécutif à la bruyante démission du général Pierre de Villiers et au mouvement de menton malvenu du président Macron(«Je suis votre chef!»)? Auprès des militaires, son autorité et sa légitimité sont incontestables. La loi de programmation qui vient d'être définitivement adoptée assure des dépenses en progression pour atteindre 2 % du PIB en 2025. En cela, il a ferraillé dans le sens de son prédécesseur qui en avait fait un de ses chevaux de bataille. François Lecointre se soucie également beaucoup des conditions de vie des officiers, souvent plus complexes et moins favorables que celles des sous-officiers. Il envisage leur amélioration comme une priorité.
Reste le chapitre des missions extérieures, dont la plus importante de toutes, Barkhane (4 500 hommes). La récente recrudescence d'attentats avant la visite d'Emmanuel Macron dans la région a semé le doute. Mais pas dans la tête du Cema. «Nous sommes dans les clous, explique-t-il. Les forces françaises sont déployées dans la durée, une dizaine d'années encore.» Avant d'ajouter: «Partir signifierait le retour du chaos. Et personne ne le veut.»
- 4693 Lectures