Antoine |
Grand-père, Frédéric Bastiat t’a manifestement fasciné, tu as évoqué son nom plusieurs fois. Est-ce qu’on peut en parler et peux-tu m’en dire un peu plus sur sa pensée, cela peut m’être utile dans mes réflexions.
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Auguste |
C'est très dommage qu’on ne parle pas plus de lui parce qu’il est inspirant. Il peut te donner des idées à une époque où le keynésianisme est en train de prendre un coup dans l’aile avec la montée des impôts qu’il a encouragée.
En plus Bastiat était député, donc homme politique, il a régulièrement pris la parole à l’Assemblée il a écrit plusieurs livres. Surtout, c’est quelqu’un qui avait de l’humour.
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Antoine |
L’humour, c’est vrai qu’on perd l’humour en cette période.
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Auguste |
Alors qu’il est la forme suprême de l’intelligence.
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Antoine |
Mon secrétariat a demandé à la bibliothèque de l’INSP s’il y avait des textes de Bastiat, pour l’instant pas grand-chose.
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Auguste |
C’est vraiment incroyable parce que c’est vraiment un génie français. Il a vécu de 1800 à 1850. Il est vrai que ses idées sur l’État ne sont pas celles que l'on entend dans la bouche des économistes en vogue aujourd’hui.
Si tu veux te renseigner sur lui va sur bastiat.org, le site est bien fait, tu auras une bonne idée de son œuvre.
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Antoine |
S’il n’y avait qu’une chose à retenir ?
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Auguste |
Ce serait la parabole « Ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas ».
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Antoine |
Dis-m’en plus.
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Auguste |
C’est tout le sujet de l’action et de la réaction, un thème qu’on devrait enseigner à nos enfants : on ne peut pas juger une action avant d’avoir pris en compte les effets de la réaction qu’elle provoque.
Quand l’État prend un impôt pour investir dans un rond-point, c’est ce qu’on voit. On voit ce que fait l’argent, on voit le rond-point. Mais ce qu’on ne voit pas, c’est ce qu’auraient fait les contribuables de cet argent s’il ne leur avait pas été enlevé par l'impôt. Ils auraient pu, par exemple, acheter des machines-outils qui auraient permis des embauches et amélioré la balance commerciale.
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Antoine |
Tu es marrant, comment finance-t-on l’État ? Bastiat était contre toute forme d’impôt ?
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Auguste |
Pas du tout ! Bastiat ne disait pas qu’il ne fallait pas de ronds-points.
Il disait simplement que quand on prélève l'impôt, ce n’est pas neutre. Il faut savoir qu’une dépense privée a été empêchée et donc faire très attention à l’utilisation de l’argent.
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Antoine |
Pour quelqu’un comme moi, qui a passé toute sa vie dans la sphère publique je reconnais que je n’ai pas le réflexe, c’est la première fois que j’entends l’argument. On m’a plutôt expliqué que les dépenses publiques faisaient croître l’économie, donnaient de l’emploi et encourageaient la consommation.
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Auguste |
Ça, c’est du Keynes tout craché qui a été utilisé pour justifier les dépenses et donc les impôts. Je reviens à Bastiat. Quand tu vas dans certains États américains et que tu observes bien les travaux routiers, tu verras sur les panneaux « Your taxes at work ». Tu pourrais demander qu’on fasse de même en français avec « Vos impôts au travail ».
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Antoine |
Belle idée, ce serait un message utile aux fonctionnaires et à tous ceux qui payent leurs impôts.
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Auguste |
Je suis content, tu viens donc de comprendre le premier point.
Sache que Bastiat allait plus loin avec sa parabole du bras gauche et du bras droit. Il racontait l’histoire d’un médecin qui dit à son patient : « Je vous trouve un peu faible aujourd’hui, j’ai une solution, je vais vous mettre du sang dans le bras gauche, mais évidemment il faut que je le prenne quelque part donc je vais le prendre dans votre bras droit et comme il faut bien que je vive, j'en prendrai pour moi un peu au passage.
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Antoine |
Grand-père, ton Bastiat va quand même un peu loin, tu stigmatises les fonctionnaires en en faisant des parasites.
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Auguste |
Tu m’as mal compris. Bastiat n’était pas idiot. Il savait très bien qu’une société a besoin d’une puissance publique pour vivre harmonieusement. Mais il voyait le rôle de l’État comme un garant de l’ordre à travers les Affaires étrangères, la Défense, la Justice et la Police guidées par des lois bien conçues.
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Antoine |
La vraie responsabilité de l’État, c’est le domaine régalien pour Bastiat. Si je t’ai compris son rôle n’est pas de s’investir dans une politique industrielle qu’il aurait lui-même conçue mais de s’assurer que l’initiative peut naturellement se développer avec l’idée que la sphère privée saura se débrouiller.
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Auguste |
Exactement.
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Antoine |
Il était donc pour laisser la concurrence jouer sans entrave.
Grand-père que réponds-tu aux gens qui disent qu’on soumet la société a la loi du plus fort ?
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Auguste |
La concurrence est mal vue car elle est mal présentée. Federer n’existait pas à l’époque. Demande à tes services de retrouver l’interview qu’il a accordé suite à une défaite à Wimbledon contre Djokovic. Tu verras, il rend hommage à ses concurrents les plus forts Nadal et Djokovic en expliquant que, sans eux, le tennis ne serait jamais monté à ce niveau de perfection et que cela fait du bien à tout le monde.
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Antoine |
Je vais regarder.
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Auguste |
La concurrence, cela cultive l’humilité, on est constamment remis en cause, c’est une générosité spontanée.
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Antoine |
Là je t’arrête !
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Auguste |
Eh oui ! La concurrence est le moyen le plus efficace pour baisser les prix, baisser les prix, c’est de la générosité. Je te taquine : quoi de plus social qu’un système qui assure que les gains de productivité sont rendus au client ?
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Antoine |
Grand-père, il faut quand même à un moment que l’État aide.
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Auguste |
Bien sûr, il faut une solidarité, c’est même une des « raisons d’être » d’une société, aider les gens abîmés par la vie ou dans une passe difficile. La solidarité est une des pierres angulaires de la société.
Mais il faut un consensus pour que chacun fasse le maximum pour utiliser l’État au minimum et maintenir son coût dans des limites raisonnables, faute de quoi on fragilise l’ensemble.
Rappelle-toi ce qu’on a dit sur l’Allemagne avec son idée de solidarité exigeante. Quand quelqu’un est aidé, il doit faire le maximum pour chercher à s’en sortir. Tu es bien d’accord, c’est sa dignité ! La bienveillance n’exclut pas l’exigence.
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Antoine |
Pour Bastiat la concurrence dispense de faire une Sécurité sociale, il est dur ton Bastiat.
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Auguste |
Détrompe-toi, il avait réfléchi au sujet et anticipé la création de la Sécurité sociale ! Il y avait une différence : ses sociétés de secours mutuel étaient fondées sur une logique assurancielle. Tu prends une assurance chômage ou une assurance santé comme une assurance auto.
Il n’a pas connu la mise en œuvre de cette approche du domaine social, il n’empêche que c’est celle que de nombreux pays ont adoptée, rappelle-toi la réforme de Roger Douglas.
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Antoine |
Je prends le point
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Auguste |
Dans toute cette réflexion, n’oublions jamais que nous sommes en concurrence avec l’extérieur, on ne peut pas faire abstraction de ce qui se fait ailleurs.
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Antoine |
Le sujet de fond est de savoir si c’est à l’État d’organiser la solidarité ou si c’est une affaire à traiter entre les patrons et les syndicats, ou encore si cette affaire peut être entièrement confiée au privé sans que l’État s’en mêle.
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Auguste |
Si c’est l’État, pourquoi pas après tout. Mais il faut que ce soit bien organisé sinon les coûts vont exploser et ça nuira à l’attractivité.
Si, par exemple, une partie de la population cherche à profiter du système et si l’État, supporté par un gouvernement intéressé à attirer leur voix, se voile les yeux, ce sont les prix de revient des entreprises qui vont décrocher.
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Antoine |
Tout le sujet du paritarisme. Est-ce la bonne formule et est-il bien géré ? Dieu que le sujet est vaste !
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Auguste |
Eh oui ! Autre piste de réflexion, pas facile. Je ne suis pas sûr que ceux qui t’entourent soient capables de t’apporter les réponses.
Bastiat a passé son temps à critiquer les gens qui demandent des protections de l’État.
Sur le plan du commerce extérieur, il était contre les gens qui demandaient des droits de douane pour les protéger en expliquant qu’il y aurait des réactions et que cela freinerait des gens efficaces qui exportent.
Son exemple le plus fameux a été la pétition des fabricants de chandelle. C’est évidemment un papier humoristique,
Il se moquait des fabricants de chandelles qui demandaient à l’État de les protéger contre la concurrence du soleil.
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Antoine |
Je commence à voir un peu mieux qui était Bastiat. Ses idées ne sont pas très loin de celles de Adam Smith, c’était un vrai libéral.
Mais comment répondait-il aux accusations consistant à dire qu’on ne peut pas fonder une société sur les intérêts privés, parce que c’est une forme d’égoïsme et que c’est contraire au concept même de société ?
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Auguste |
Bien vu, c’est vrai, cela me permet de te parler d’une des idées les plus fortes de Bastiat : le concept d’harmonie.
Bastiat était convaincu que si l’État restait dans son rôle de contrôleur, la confrontation des initiatives et des intérêts privés pouvait tout à fait se faire de façon harmonieuse.
Pour lui, la saine concurrence régule les intérêts particuliers, je dis bien saine concurrence au sens de concurrence sportive contrôlée par un arbitre et des règlements bien conçus.
La concurrence assure la liberté de l’acheteur et force le producteur à exceller.
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Antoine |
Tu évoques les règlements bien conçus, un exemple ?
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