Tribune
« Le débat public actuel donne un bien triste spectacle où le bal des hypocrites et les oukases des « Yakafokons » le disputent à la vertu rétrospective des cigales ayant chanté tout un septennat »
L'Opinion - 16 octobre 2024 - Par David Lisnard
Tout responsable public le sait. L’exercice budgétaire tient à la fois de la quadrature du cercle et du rocher de Sisyphe. Définir le budget d’une collectivité, quelle qu’elle soit, est en effet un parcours sous multiples contraintes, la principale étant le hiatus inévitable entre besoins sociaux potentiellement infinis et ressources par définition limitées.
Mais il faut reconnaître que cette année, l’établissement du budget national relève, même pour un nouveau Premier ministre qui ne manque pas de courage, de la haute voltige, entre précipitation imposée par la procrastination des mois précédents, absence de majorité et surenchères de tous côtés. Le débat public actuel donne un bien triste spectacle où le bal des hypocrites et les oukases des « Yakafokons » le disputent à la vertu rétrospective des cigales ayant chanté tout un septennat.
Doutes légitimes. Il n’en reste pas moins que le projet examiné à partir de cette semaine à l’Assemblée suscite des doutes légitimes. Malgré l’affichage d’un effort portant aux deux tiers sur les dépenses, c’est bien sur les impôts que va porter, à 70 %, l’ajustement prévu, ainsi que l’a démontré le Haut conseil des finances publiques. Notre pays n’arrivera-t-il donc jamais à stopper sa dérive dépensière et son masochisme fiscal ?
Et cela d’autant plus que les calculs avancés reposent sur deux tours de passe-passe qui minent la sincérité de leur présentation : d’abord une « baisse » annoncée des dépenses qui n’est en fait qu’un ralentissement de leur dérive potentielle, puisqu’elles ont augmenté encore de 2.1% ! Ensuite, fleuron de la « Bercyculture », la comptabilisation de la diminution des allègements d’impôts comme autant de réductions des « dépenses fiscales ». Cette ruse technico-rhétorique renvoie à un sous-entendu lourd de sens politique, voire idéologique : ce qu’on ne leur prélève pas serait un « cadeau » fait aux Français, comme si leurs revenus ne leur appartenaient pas vraiment et n’étaient que la part (variable) que consentait à leur laisser l’Etat, après des prélèvements dont il serait le seul juge et arbitre.
On ne le rappelle jamais assez, la liberté n’existe pas sans la propriété, y compris de ses revenus et de son épargne ! Taxer toujours plus et imposer toujours davantage semblent être les deux mamelles de nos finances publiques
On ne le rappelle jamais assez, la liberté n’existe pas sans la propriété, y compris de ses revenus et de son épargne ! Taxer toujours plus et imposer toujours davantage semblent être les deux mamelles de nos finances publiques ; et l’on peut faire confiance à la direction de la Législation fiscale pour rivaliser en la matière d’imagination créatrice avec le surréalisme dont on célèbre le centenaire.
« Responsabilité ». Le traitement des collectivités locales dans ce projet de budget en est une autre illustration. Comme les entreprises et les particuliers, les ressources des collectivités sont ponctionnées à une échelle inédite, au nom d’une supposée « responsabilité » alors même qu’elles ne sont pas la cause de la dérive des comptes publics, elles qui votent des budgets à l’équilibre, qui ne peuvent emprunter que pour investir, et dont la dette est stable depuis trente ans, à 9 % du PIB.
Les dépenses des collectivités territoriales représentent 19 % de la dépense publique, contre une moyenne européenne de 34 %, 11 % du PIB contre 19 % pour la moyenne européenne, et cela malgré le fameux mille-feuille dénoncé par les technocrates qui l’ont mis en place contre l’avis des élus locaux, malgré aussi les collectivités qui peuvent être mal gérées. Cette nouvelle ponction se fait au détriment de leur libre administration, un principe si fondamental qu’il est inscrit dans notre Constitution.
Il est dès lors permis de s’interroger sur la destinée d’un projet de budget placé sous très haute surveillance, y compris de la relative et fragile majorité parlementaire qui a déjà déposé pas moins de 1 700 amendements. La désindexation temporaire des retraites, la très forte hausse de la TVA sur les abonnements énergétiques ou la – faible – suppression de postes pourraient se voir vite sacrifiés aux uns ou aux autres, survie gouvernementale oblige.
Surtaxation. Et l’on ferait semblant de croire, contre l’évidence, que la surtaxation des « riches » et des « superprofits » offrira la miraculeuse martingale budgétaire. Cela reviendrait à reculer pour mieux sauter dans l’épreuve de vérité : celle du spread des taux d’intérêt et des coupes franches imposées par nos partenaires européens et internationaux.
Je suis un adepte du paradoxe selon lequel plus les temps sont difficiles, plus ils permettent des décisions fortes et courageuses, comme notre pays a su le faire avec Poincaré en 1926, de Gaulle en 1958 ou Valéry Giscard d’Estaing en 1976
La France pourrait et devrait prendre les devants en changeant radicalement de logiciel. Je suis un adepte du paradoxe selon lequel plus les temps sont difficiles, plus ils permettent des décisions fortes et courageuses, comme notre pays a su le faire avec Poincaré en 1926, de Gaulle en 1958 ou Valéry Giscard d’Estaing en 1976. Ces décisions doivent porter aujourd’hui sur les deux vrais sujets de l’enjeu budgétaire : l’efficacité de la dépense publique et (on l’oublie trop) la garantie du consentement à l’impôt, visiblement au bord de la rupture, comme le montre le recul des recettes fiscales depuis plus d’un an.
Il faut donc se féliciter de l’annulation de l’augmentation annoncée des budgets de l’Elysée et des deux assemblées, qui était évidemment invendable à des Français sommés de faire preuve de « solidarité ».
Productivité. Mais il faudra aller bien plus loin que ces mesures aussi indispensables moralement que dérisoires financièrement, et engager dès cette année des réformes structurelles, sans lesquelles les efforts demandés seront aussi injustes que vains. Identifier par exemple et commencer à supprimer les doublons de l’administration territoriale et des innombrables agences de l’Etat ; augmenter la productivité des services par l’innovation et un management participatif, pratiquer la subsidiarité et réduire le périmètre de l’action publique ; lancer le chantier d’une allocation sociale unique productrice d’économies de gestion, de découragement de la fraude et d’incitation au travail ; remettre dans la moyenne européenne l’ensemble des mesures sociales en faveur des migrants, de l’Aide médicale d’Etat à l’accueil des mineurs étrangers.
C’est à ces seules conditions que l’on pourra faire accepter une mesure impopulaire mais indispensable, vu leur poids (23 %) dans la dépense publique totale du pays : la désindexation des retraites à partir de 2000 euros par mois en 2025 (avec une clause de revoyure si l’inflation dépasse 2 %).
Nos compatriotes sont méfiants et ont quelques raisons de l’être ; ils sont pour la « justice fiscale » mais savent combien d’abus sont commis en son nom
Nos compatriotes sont méfiants et ont quelques raisons de l’être ; ils sont pour la « justice fiscale » mais savent combien d’abus sont commis en son nom ; et ils savent aussi à quel point ils sont la variable d’ajustement du clientélisme politique et du conformisme technocratique qu’il est urgent de stopper. Terminus Bercy. Ainsi va la France.
David Lisnard est président de Nouvelle Énergie, de l'Association des Maires de France et maire de Cannes.
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