Le président américain ne perd pas de temps. Architecture des bâtiments publics, expulsions, intelligence artificielle, les décrets s’enchaînent, incarnés par des photos dans le Bureau ovale. AFP / © ROBERTO SCHMIDT

International

L’ex-Premier ministre a jugé « démesurées » les réactions françaises à l’investiture de Donald Trump. Il estime qu’elles illustrent nos faiblesses et notre déclassement.

JDDNews - 29 janvier 2025 - Par François Fillon

L’investiture du nouveau président des États-Unis provoque en France des réactions démesurées qui illustrent nos faiblesses et notre déclassement. Que l’on se mette en scène à Washington pour célébrer l’arrivée d’un véritable messie ou que l’on voie dans Elon Musk l’héritier d’Hitler, ces caricatures en disent hélas beaucoup sur l’état de notre pays.

Donald Trump a gagné les élections parce que les Américains ne supportaient plus l’immigration incontrôlée, les folies wokistes et le risque de se voir entraînés dans  des guerres multiples qui pourraient amorcer un conflit mondial.

La personnalité de Trump pose question. Ses délires sur l’annexion du Canada ou du Groenland, ses manières souvent grossières, la brutalité de ses adresses à l’égard de l’Europe ne sont pas des détails. Pourtant, on aurait tort de réduire le débat à cette question en occultant les vraies raisons de son élection qui ne sont pas à chercher dans l’influence des réseaux sociaux ou, comme le prétendaient bêtement les démocrates en 2016, dans les ingérences russes.

Non, la victoire de Trump est une victoire populaire sur des élites déconnectées qui croient détenir la vérité alors qu’elles enchaînent les échecs. Cette réaction à une forme de dictature de la pensée social-démocrate n’est pas circonscrite aux États-Unis mais affecte à des degrés divers la quasi-totalité des démocraties occidentales.

La victoire de Trump est une victoire populaire sur des élites déconnectées

On peut refuser de le voir. On peut continuer à accuser Elon Musk, après Vladimir Poutine, de fausser le débat démocratique en faisant d’ailleurs peu de cas de la maturité des citoyens, tellement malléables et crédules qu’il faudrait impérativement les protéger, en les privant justement d’une liberté d’expression à ne pas mettre en toutes les mains. C’était déjà le raisonnement de l’Église au Moyen Âge quand elle entendait contrôler la circulation des livres qui auraient pu influencer des âmes faibles.

Écouter la voix du peuple

Cette attitude conduira sans aucun doute à la révolte des citoyens humiliés et à la multiplication des régimes autoritaires à des degrés divers, avant que le balancier de la raison ne revienne un jour aux notions d’équilibre et d’alternance qui fondent la démocratie.

La première réponse intelligente à l’élection de Donald Trump devrait être le retour du respect des citoyens dont toutes les opinions, sans exception, doivent être prises en compte. Censurer les réseaux sociaux, judiciariser la vie politique, ostraciser ceux qu’on appelle les populistes comme s’il était condamnable d’entendre la voix du peuple, réglementer toujours, faire confiance jamais ; qui ne voit que cette attitude déclenchera tôt ou tard une réaction violente qui peut détruire les acquis de notre démocratie et ruiner durablement notre économie ?

Pour autant, Donald Trump n’est pas Captain America et il sera vite confronté à des réalités économiques, sociales et géopolitiques qui repousseront l’horizon de l’âge d’or annoncé.

La première de ces réalités sera la guerre en Ukraine, qu’il a promis de faire cesser en 24 heures. Il est probable que s’il avait été président des États-Unis en 2023, il aurait pu empêcher ce désastre dont les responsabilités sont partagées. Aujourd’hui, ses options sont plus limitées. Soit il acte la situation militaire sur le terrain, contraint l’Ukraine à accepter une partition de son territoire et renonce à l’intégrer dans l’Otan. Soit il engage un bras de fer avec le président russe qui pourrait bien déboucher sur la continuation de ce conflit mortifère pour la Russie, pour l’Ukraine et pour l’Europe.

Le choc entre ces deux egos démesurés, entre ces deux empires dont les ambitions se ressemblent, ne pourra pas se solder par un « deal gagnant-gagnant », comme on dit dans le jargon familier des acteurs et des milliardaires qui entourent Donald Trump, comme dans celui des oligarques russes qui entourent Vladimir Poutine.

La Russie, face aux sanctions occidentales, a enclenché un mouvement de défense qui vise à créer une alternative à la domination militaire, politique et financière de l’Amérique et de ses alliés. Le sommet des Brics à Kazan, en novembre dernier, a montré, s’il en était besoin, que toutes les prévisions sur l’effondrement de la Russie et son isolement diplomatique procédaient d’une méthode Coué occidentale aussi inefficace que dangereuse.

Poutine n’est pas Netanyahou et il ne se pliera pas au nouvel ordre « trumpien ». Il voudra consolider son avantage et poursuivre l’édification de ce nouvel ordre mondial qui rencontre un écho favorable dans une grande partie du monde.

Sur le plan intérieur, la politique douanière que le président Trump entend mettre en œuvre pourrait bien ralentir les échanges, affaiblir la croissance mondiale et finalement handicaper l’économie américaine, sans compter qu’elle devrait mécaniquement peser sur le pouvoir d’achat des Américains, alors même que son augmentation a été au cœur du vote du 5 novembre.

Cacophonie du Nouveau Monde

Cette élection ne mérite donc ni les excès d’honneur de ceux qui croient y voir le nouvel horizon de l’Occident, ni les cris d’orfraie des défaitistes qui ne pensent qu’à barricader l’Europe contre les vents mauvais qui soufflent de l’Atlantique sur un continent fatigué.

La seule attitude digne face aux ambitions de Donald Trump devrait consister à redresser nos finances publiques, à réduire la fiscalité, à tailler dans les réglementations qui stérilisent l’innovation, à protéger l’Europe des ingérences américaines qui menacent en permanence nos entreprises, à assurer notre indépendance énergétique, à bâtir un système de sécurité européen qui ne soit guidé que par nos intérêts propres.

Quand le nouveau président américain entend baisser la fiscalité des entreprises, nous voulons en France l’augmenter...

Quand le nouveau président américain entend baisser la fiscalité des entreprises, nous voulons en France l’augmenter. Quand les Américains célèbrent le travail et l’ascension sociale, nous voulons en France partir en retraite à 60 ans et taxer les riches retraités au-dessus de... 2 000 euros. Quand Trump fait rêver les Américains avec de nouvelles frontières sans doute irréalistes, nous débattons de la fin de vie, nous feignons de croire que notre avenir se joue dans la guerre en Ukraine, nous imposons au nom de la transition énergétique des solutions techniques qui n’ont pas fait leurs preuves, comme la voiture électrique, nous étouffons le marché du logement sous un fatras de réglementations et nous ne cessons d’accroître notre dépendance à la dépense publique en augmentant sans cesse le nombre d’emplois nécessaires à la gestion de cette société où la liberté est plus virtuelle qu’elle ne l’a jamais été.

En diabolisant le président des États-Unis ou en s’émerveillant de la brutalité de son projet, on acte notre vassalisation

Où est notre projet ? Où est notre vision pour la France et pour l’Europe ? Comment retrouver l’attention et la confiance du monde si nous sommes incapables de leur proposer une alternative heureuse à celles que véhiculent les empires américain, russe et chinois ou au repli religieux que cherchent à imposer les totalitaristes islamiques ?

En diabolisant le président des États-Unis ou en s’émerveillant de la brutalité de son projet, on acte notre vassalisation. En comprenant que cette élection nous oblige à redresser la tête et à relever nos manches pour bâtir un avenir à nos enfants et offrir à nouveau une envie de France et d’Europe au monde, nous reprendrions la maîtrise de notre destin.