Chronique
Le gouvernement de Michel Barnier devra s’atteler prioritairement aux chantiers de la dette, du pouvoir d’achat et de l’Éducation nationale, tout en se dotant d’une vision globale qui donne un sens à son action politique.
Le FigaroVox - 11 septembre 2024 - Par Luc Ferry
La France étant massivement à droite, la nomination de Michel Barnier est sans doute la meilleure chose qui pouvait arriver au pays. Bernard Cazeneuve et Xavier Bertrand ne manquaient ni d’expérience ni de talent, mais ils risquaient d’être censurés dans le quart d’heure. À défaut de grandes réformes, impossibles sans majorité, si Barnier parvient à s’entourer de personnalités compétentes d’horizons différents, il pourra au moins calmer le jeu, d’autant que son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, est le meilleur budgétaire de la place de Paris.
Je suis malgré tout étonné de voir les politiques continuer à se présenter devant leurs concitoyens sans porter quoi que ce soit qui ressemble à un grand dessein. À gauche, Glucksmann voulait rassembler son camp autour de quelques mesures sans doute défendables, mais sans qu’à aucun moment elles ne soient réunies au sein d’une vision du monde globale qui leur donnerait du sens. Même chose à droite où le sacro-saint « pragmatisme » est devenu pour elle le gage de ce souci d’en rester « avec sérieux » à la gestion de l’économie pour répondre à quelques « préoccupations » des Français certes légitimes - sécurité, pouvoir d’achat, santé, immigration - mais qui sont perçues comme un dû, pas comme un projet.
Meilleure nouvelle du millénaire
Dans une précédente chronique, j’ai tenté d’expliquer pourquoi un grand dessein me semblait pourtant possible après l’effondrement de l’idée révolutionnaire à gauche et du nationalisme à droite, en s’appuyant sur le souci des générations futures. Je suis convaincu que pour leurs enfants, c’est-à-dire pour l’humanité qui vient, les Français seraient prêts à faire des sacrifices afin de ne pas leur laisser un monde plus hostile que celui dans lequel nous avons eu la chance de vivre.
Il est temps de comprendre que ce n’est plus, comme au temps des guerres mondiales, la vie privée qui est soumise à la raison d’État, mais l’État qui doit désormais servir l’épanouissement des familles, ce qui n’est nullement un signe de déréliction mais au contraire la meilleure nouvelle du millénaire. C’est désormais le seul foyer de sens solide si nous voulons faire accepter les efforts indispensables pour enrayer le déclin dans lequel notre pays s’est maintenant engagé. Si j’avais le moindre pouvoir politique, c’est dans cet esprit, en les situant dans cet horizon de sens, que je m’attaquerais à trois chantiers urgents.
C’est d’abord, j’y reviens depuis des années, la question de la dette qui pourrait enfin trouver un sens concret alors qu’aujourd’hui elle n’intéresse à peu près personne. Il est grand temps de faire comprendre à nos concitoyens qu’il ne s’agit pas d’une misérable affaire comptable, mais que l’avenir de leurs enfants en dépend comme jamais !
Revenir aux fondamentaux
Je m’attacherais ensuite à repenser de fond en comble le rôle de l’Éducation nationale à l’heure des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle (IA), un monde radicalement inédit, impensable il y a vingt ans encore, un univers où nos enfants, pour trouver une place à leur mesure dans la société qui vient, devront être complémentaires et non victimes de l’IA et de la robotique. Il serait urgent, dans cette perspective, de revoir de A à Z les programmes d’instruction civique pour les adapter à l’heure des réseaux sociaux, des jumeaux numériques et des deepfakes. Par ailleurs, il est évident qu’il faut enfin revenir à un enseignement massif des fondamentaux au primaire en remettant en place les dédoublements de cours préparatoires que j’avais installés dès mon arrivée au ministère et que Jean-Michel Blanquer a eu l’excellente idée de remettre en service avant d’être lâché en rase campagne par son président à cause de son antiwokisme.
C’est enfin la question du pouvoir d’achat qu’il est temps d’affronter en proposant une grande réforme gaullienne sur l’intéressement et la participation, seuls moyens non seulement d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés sans plomber les entreprises, mais, là encore, de donner du sens au travail en montrant que patrons et salariés sont dans le même bateau. Il y a bien entendu d’autres sujets - l’hôpital, la transition écologique, la lutte contre l’immigration illégale. Ils entrent eux aussi fort bien dans le cadre d’un grand dessein orienté vers le monde que nous, les adultes, nous prendrons la responsabilité de laisser à nos enfants. Il n’est pas question de les oublier, mais pour l’année qui vient, la seule qui soit assurée de ne pas connaître l’absurdité d’une nouvelle dissolution, les trois premières tâches s’imposent comme des urgences absolues.
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