Tribune
Pour Erwann Tison, directeur des études de l’Institut Sapiens, la « capi » est une réponse pragmatique à la dégradation du système des retraites.
Le Point - 25 janvier 2023 - Par Enwann Tison*
« Si cette réforme n'est pas adoptée, nous serons obligés de mettre en place un système par capitalisation. » « L'objectif de cette réforme est de sauver à tout prix notre système par répartition. » « Notre ambition est la survie à tout prix du système actuel, pour sauvegarder l'héritage du Conseil national de la résistance et ne pas basculer vers un système individuel et sauvage à l'anglo-saxonne. » Depuis quelques jours, les membres de la majorité présidentielle ont fait de la capitalisation un épouvantail absolu. Ce refus purement idéologique de recourir à un système pourtant adopté par de nombreux pays européens relève, au choix, d'une méconnaissance économique ou d'une lâcheté politique.
Dans le financement des retraites, la capitalisation a l'avantage d'optimiser temporellement les cotisations en les investissant pour augmenter les pensions à venir. Les Hollandais, grâce à leurs piliers capitalisation s'ajoutant à leur matrice par répartition, ont un taux de remplacement (montant de la pension par rapport au dernier salaire) supérieur de 20 points à celui des Français. Le tout en allouant une part de leur PIB deux fois moindre qu'en France (7 % contre 14 %).
Une étude de l'économiste Patrick Artus avait démontré que pour 1 euro investi en 1980, le rendement par le système par répartition était de 2 euros en 2020, quand celui de la capitalisation aurait pu être de 20 euros. Les œillères de nos élus privent ainsi nos retraités d'une importante augmentation de leur pouvoir d'achat.
Paupérisation des futurs retraités
Ce non-recours est d'autant plus regrettable lorsqu'on sait que le niveau de vie des futurs retraités par rapport aux actifs va chuter de 30 % dans les prochaines années. Une baisse mécanique provoquée par la dégradation du rapport actif par retraité, qui passera à 1,2 en 2070 alors qu'il était de 2,2 en 2000, qui marquera le retour des retraités pauvres, phénomène pourtant significativement réduit depuis près de 50 ans dans notre pays. En balayant d'un revers de main injustifié l'introduction d'un pilier capitalisation, la majorité assume ainsi la paupérisation annoncée des futurs retraités.
Le Prix Nobel d'économie Edmund Phelps a évalué que le manque de culture économique des Français faisait perdre chaque année un point de croissance à notre pays. À combien pouvons-nous alors estimer la perte induite par la méconnaissance économique de nos élus ?
La dernière étude de l'Institut Sapiens montre que si l'on profite de la baisse ponctuelle du nombre de retraités entre 2028 et 2042, et que l'on sanctuarise le niveau actuel de dépenses, nous pouvons profiter d'un surplus de cotisations à ventiler vers une caisse dédiée à la capitalisation, et ainsi augmenter le niveau des pensions à venir, tout en créant un fonds permettant à nos entreprises de financer leurs transitions. Le tout sans augmenter le coût du travail ou la charge fiscale des entreprises.
En refusant l'introduction d'un pilier capitalisation, nos travaux montrent que nous passons à côté de la possibilité de constituer un fonds d'épargne national d'au moins 565 milliards d'euros d'ici à 2042, et nous privons chaque retraité d'un complément moyen de pension de 1 310 euros par an.
Complément de retraite
Cette réforme répondrait pourtant à plusieurs demandes politiques fortes. En plus d'offrir un complément de retraite aux moins aisés ne pouvant épargner pour leurs vieux jours, elle donnerait la possibilité aux travailleurs de partir à l'âge de leur choix, les rendant ainsi maîtres de leur carrière sans être soumis à une absurde borne commune. Les pharmaciens et les fonctionnaires, catégories profitant déjà de la capitalisation en France, font quotidiennement l'expérience de ce double avantage et ne semblent pas s'en plaindre, tant s'en faut.
Le mimétisme réformiste voulant que l'on décale l'âge de départ pour être raccord avec les situations de nos voisins, martelé comme justification première au projet gouvernemental, ne convient bizarrement plus lorsqu'il s'agit de transformer le financement de notre système de retraite. Plus qu'une palinodie, l'adoption d'un pilier capitalisation serait une réponse pragmatique à la dégradation annoncée de la soutenabilité de notre système. Vouloir sauvegarder l'un des acquis sociaux les plus précieux pour les Français sans recourir à cet outil serait ainsi une faute politique, économique et sociale dont les responsables devront répondre lorsque les jeunes générations en subiront les conséquences.
*Erwann Tison est directeur des études du cercle de réflexion l'Institut Sapiens.
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