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Tribune
Le patron d’OpenAI, qui développe l’outil ChatGPT, considère, dans une tribune au « Monde », que la France est devenue un centre névralgique de l’IA sur le Vieux Continent et appelle les régulateurs européens à réfléchir aux conséquences de leurs décisions sur les opportunités de demain.
Le Monde - 8 février 2025 - Par Sam Altman, Cofondateur et PDG d'OpenAI
La France, berceau des Lumières, est renommée pour ses réalisations technologiques et culturelles, qui ont participé aux progrès fondamentaux de l’humanité. Du bateau à vapeur à l’aviation, en passant par la physique nucléaire et le cinéma, les innovations françaises ont dynamisé son économie et amélioré considérablement la vie de ses citoyens et des autres peuples du monde. Cela en fait un lieu naturel, en Europe, pour discuter de la manière de faire avancer l’intelligence artificielle (IA) et d’en étendre les retombées économiques, afin que tous, en France et dans toute l’Europe, puissent partager cette croissance.
Le prochain sommet pour l’action sur l’IA, organisé à Paris sous l’égide du président français, Emmanuel Macron, intervient à un moment où les nations du monde entier – et particulièrement en Europe – cherchent à stimuler leurs économies. En Europe, une grande partie des discussions s’est concentrée sur ce que l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a qualifié de « fossé de l’innovation » entre l’Europe, les Etats-Unis et la Chine, et qu’il a décrit comme un « défi existentiel » pour l’avenir de l’Union.
L’IA est au cœur de ce défi. C’est une technologie qui améliore la productivité en mettant des outils entre les mains des individus pour les aider à résoudre des problèmes complexes – qu’il s’agisse d’améliorer les diagnostics médicaux, d’accélérer les recherches scientifiques ou d’aider les élèves à apprendre en classe. C’est pourquoi nous considérons cette époque comme le début de l’ère de l’intelligence.
Un écosystème dynamique
Partout dans le monde, les pays tournés vers l’avenir comprennent que l’IA sera à la hauteur des grandes innovations technologiques historiques – l’électricité, le transistor, l’ordinateur personnel – qui, par les gains de productivité qu’elles ont générés, ont ouvert de nouveaux horizons économiques. Le développement des capacités productives de l’IA sera essentiel pour assurer une croissance durable, créer des emplois, améliorer la santé, transformer l’éducation et repousser les limites de la science.
Pour assurer la transition vers l’ère de l’intelligence, les gouvernements du monde entier doivent collaborer avec le secteur privé afin de favoriser l’innovation et aider leurs citoyens à avoir confiance dans cette technologie et à l’utiliser. Alors que les dirigeants mondiaux se réunissent dans la Ville Lumière, il est important de reconnaître que la France a mis en place une stratégie que d’autres pays européens devraient suivre. Le Royaume-Uni, qui a accueilli le premier sommet sur l’IA [en 2023], et l’Allemagne tracent également des voies ambitieuses.
La stratégie française repose d’abord sur un investissement dans son capital humain et un pari judicieux sur les talents exceptionnels du pays. La France a mis l’accent sur la recherche et le développement, notamment par la création de quatre instituts interdisciplinaires consacrés à l’IA. Elle a également lancé neuf pôles internationaux en IA, soutenus par 360 millions d’euros de fonds publics, une initiative concertée qui a doublé le nombre de spécialistes en IA dans le pays et fait de la France l’un des leaders mondiaux de cette technologie. Son ascension rapide, passant de la treizième à la cinquième place dans le Global AI Index en seulement un an, témoigne du succès de ces initiatives et constitue une feuille de route à suivre pour les autres nations.
Ensuite, la France a investi depuis des années dans des supercalculateurs, sur lesquels travaille une communauté dynamique d’innovateurs. En 2019, le pays a construit le supercalculateur Jean-Zay, qui permet de soutenir aujourd’hui plus de 1 200 projets de recherche. En rendant Jean-Zay accessible aux chercheurs publics et aux entreprises privées, la France a créé un pont essentiel entre le monde académique et l’industrie, accélérant le développement de nouveaux outils d’IA, favorisant un écosystème dynamique de start-up et d’acteurs émergents, et positionnant le pays comme un centre névralgique de l’IA en Europe.
Le risque de l’inaction
Enfin, la France, consciente que l’infrastructure détermine l’avenir, a mis en place les dispositifs nécessaires pour fournir la puissance de calcul brute, logée dans des centres de données de pointe, nécessaire à l’entraînement et au fonctionnement des systèmes d’IA. Sans ces infrastructures, qui requièrent une énergie considérable, il n’est pas possible d’innover et de construire. Pour fournir cette énergie, la France bénéficie d’un réseau solide, produisant près de 70 % de son électricité grâce au nucléaire – une source fiable et à faibles émissions de carbone.
Un rapport récent de France Digitale a révélé que la France comptait plus de 750 start-up spécialisées en IA – un record en Europe continentale – et que ces entreprises avaient levé plus de 13 milliards d’euros. La France a prouvé qu’en développant l’IA, la croissance économique suivra : son secteur de l’IA a déjà créé 36 000 nouveaux emplois à travers le pays, avec des milliers d’autres en perspective. Comme nous avons récemment ouvert un bureau à Paris – le premier d’OpenAI en Europe continentale –, nos effectifs en font partie.
Ce succès français repose sur des politiques visant à encourager l’innovation et à créer les conditions permettant à ses entreprises de prospérer. Pendant ce temps, au niveau de l’Union européenne, il reste à voir si des mesures similaires seront adoptées pour embrasser cette technologie productive et relever le défi soulevé par le rapport Draghi. Les régulateurs européens, travaillant à la mise en œuvre de l’AI Act, doivent réfléchir aux conséquences de leurs décisions sur les opportunités de demain, surtout à l’heure où le reste du monde avance.
Si l’on veut de la croissance, des emplois et du progrès, il faut permettre aux innovateurs d’innover, aux bâtisseurs de bâtir et aux développeurs de développer. Le risque de l’inaction est trop grand pour être ignoré, c’est pourquoi le pays qui nous a apporté les Lumières prend aujourd’hui des mesures pour réussir sa transition vers l’ère de l’intelligence.
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