Tribune

Ainsi va la France. C’est à un examen de conscience de notre propre époque que nous invitent les vers de Baudelaire dans son « Examen de minuit »

L'Opinion - 22 novembre 2023 - Par David Lisnard

« Nous avons, pour plaire à la brute, Digne vassale des Démons, Insulté ce que nous aimons Et flatté ce qui nous rebute ;
Contristé, servile bourreau, Le faible qu’à tort on méprise ; Salué l’énorme bêtise, La Bêtise au front de taureau… »

Qui est donc désormais « le faible qu’à tort on méprise, » et, face à lui, qui est le fort ?

Le fort, ce n’est pas le bon élève, mais ceux qui le harcèlent, si longtemps laissés dans l’impunité au nom du « pas de vague » et de la « bienveillance » ô combien sélective !).

Le fort, ce n’est assurément pas notre concitoyen juif injurié, menacé, et parfois agressé, qui se sent obligé, dans la France d’aujourd’hui, de cacher sa religion, son domicile et jusqu’à son identité ; « le fort », c’est son agresseur et sa meute, y compris politique, qui voient dans les décapitations d’enfants et l’éventrement de femmes autant d’actes de « résistance ».

Le fort ce n’est pas l’élu local, accablé d’exigences nouvelles, souvent contradictoires par un pouvoir central qui lui retire en même temps ses moyens financiers et sa liberté d’action

Le fort, ce n’est plus désormais le policier, fonctionnaire le plus contrôlé et le plus sanctionné de la République, mais le délinquant qui refuse d’obtempérer et l’émeutier qui en fait sa cible au slogan de « la Police tue ».

A lire aussi: «Inversion victimaire» – La chronique de David Lisnard

Bureaucrates anonymes. Le fort, ce n’est pas non plus le patron de PME qui croule sous les charges et les normes, mais les bureaucrates anonymes qui le contrôlent et l’entravent.

Le fort ce n’est pas davantage l’élu local, accablé d’exigences nouvelles, souvent contradictoires par un pouvoir central qui lui retire en même temps ses moyens financiers et sa liberté d’action.

Mais le fort, ce n’est même plus cet Etat central écrasé sous son propre poids et sa propre dette, de plus en plus déclamatoire et tatillon à mesure même qu’il est moins efficace dans ses missions régaliennes et moins équitable.

Dans tous ces morceaux choisis de notre Absurdistan, une même logique est à l’œuvre : celle de l’inversion des situations qui fait de la victime l’agresseur et réciproquement ; de l’inversion des valeurs, qui remplace le mérite par l’égalitarisme et le droit au travail par le droit à la paresse. Et de l’inversion du droit lui-même : ainsi de l’asile, destiné à protéger des combattants pour la liberté, qui profite désormais à des persécuteurs de la liberté ; ainsi des fondements même du contrat social que sont la sûreté de la nation et la sécurité de ses citoyens : l’on ne pourra désormais plus les invoquer, nous intime la Cour européenne des droits de l’homme, au terme d’un raisonnement juridique qui relève du billard à trois bandes, pour expulser un étranger connu pour ses fréquentations et ses tentations terroristes, mais qui risquerait des traitements inhumains dans son pays d’origine.

A lire aussi: «Inwokuptible!» – la chronique de David Lisnard

Urbanisme. Dans un autre registre constaté dans nos communes, le droit de l’urbanisme est une expression de cette injustice d’un Etat qui, de moins en moins capable de sanctionner a posteriori l’abus, entrave de plus en plus a priori l’usage. Si le maire est censé disposer de prérogatives importantes en urbanisme (règles de constructions, autorisations qui peuvent aller jusqu’à prescrire la couleur des volets !), il est contraint à la faiblesse avec ceux qui ne respectent pas les règles du jeu.

Le constat est implacable : l’état du droit, trop souvent, contredit l’Etat de droit. Et l’opinion a le sentiment justifié d’un Etat fort avec les faibles et faible avec les forts

En cas d’infraction – travaux soit sans autorisation, soit en méconnaissance de l’autorisation obtenue – le maire est dépossédé de toute réelle capacité d’action. Après l’envoi du PV au ministère public, il « perd la main » et n’est le plus souvent pas tenu au courant des suites apportées. Tout l’arsenal du volet répressif de l’urbanisme tient aujourd’hui autour d’un postulat : l’effectivité et l’efficacité de la chaîne pénale. Or, dans les faits et en la matière, inopérants par manque de moyens, les Parquets classent sans suite les infractions dans 90% des cas. La prime aux tricheurs.

Le constat est implacable : l’état du droit, trop souvent, contredit l’Etat de droit. Et l’opinion a le sentiment justifié d’un Etat fort avec les faibles et faible avec les forts : où les citoyens sont obligés de supporter les incivilités au nom du « rien de grave » ; où les maires sont contraints de marier des délinquants étrangers censés n’être plus sur le territoire ; où les obligations de quitter celui-ci ne sont pas obligatoires ; où les centres éducatifs fermés sont à moitié ouverts ; où, pour évincer son squatteur, un propriétaire est obligé de squatter sa propre résidence ; où un mineur voleur de voiture refusant d’obtempérer et blessant un policier se voit infliger, en tout et pour tout, 35 heures de travaux d’intérêt général, mais où l’automobiliste solvable qui commet le moindre excès de vitesse sera impitoyablement réprimé.

Obsession égalitaire. Ce dont nos concitoyens souffrent le plus gravement, ce ne sont donc pas des inégalités dans l’un des pays le plus redistributifs du monde, mais de l’injustice. Cette distinction est au cœur de l’essai au scalpel d’Erwan Le Noan qui vient de paraître sur notre Obsession égalitaire : une obsession qui, du système fiscal au système éducatif en passant par le judiciaire, mine le moral du pays, sape l’équité élémentaire et nuit à ceux-là mêmes qu’elle prétend servir.

A lire aussi: «Acceptons les inégalités pour ce qu'elles sont: les révélateurs du mérite, moteur de la société libre»

Et dans le même temps où il nous faut, dans tous les domaines de la vie sociale, lancer ce grand chantier de l’équité, nous devons de toute urgence, face aux dangers qui menacent l’universalisme républicain et les fondements même de notre démocratie, ainsi que l’écrivait Karl Popper, « revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer les intolérants. Nous devrions affirmer que tout mouvement prêchant l’intolérance se place hors la loi, et considérer comme criminelle l’incitation à l’intolérance et à la persécution, de la même manière que nous considérerions comme criminelle l’incitation au meurtre, à l’enlèvement, ou à la relance de la traite des esclaves. »

Rappel salutaire en ces temps de « Démons » baudelairiens. Ainsi va la France.

David Lisnard est président de Nouvelle Energie et Maire de Cannes.