Tribune

La violation par Poutine des accords de Minsk devrait inciter l’UE, nain politique et militaire, à se doter enfin d’une vraie défense européenne.

Le Point - 26 février 2022 - Par Franz-Olivier Giesbert

Vladimir Poutine a-t-il toujours la main ? Oh pardon, c'est la question qu'il ne faut pas poser. Considéré comme un stratège de génie, le nouveau tsar de toutes les Russies est supposé avoir toujours un coup d'avance, ce qui fut souvent vrai jusqu'à présent.

Quand Zeus a fait tomber sa foudre sur la partie russophone de l'Ukraine, le Donbass , qu'il convoitait depuis longtemps, la pression atmosphérique était à son paroxysme et un lâche soulagement a soudain saisi l'Europe : pour le moment, Poutine n'irait pas attaquer le reste du pays et sa capitale historique, Kiev. Eh bien non, il l'a fait !

Le tsar est sujet à de brusques poussées d'hubris qui le gonflent à l'hélium, tout comme les injections de Botox, au point qu'il y a quelque chose en lui de Berlusconi. Sur plusieurs points, il peut correspondre à la définition du psychopathe établie par le grand psychologue canadien Robert Hare : narcissisme démesuré, surestimation de soi, manque d'empathie, absence de remords, comportement antisocial.

Les démocratures n'ont pas que des avantages. L'exercice solitaire obstrue la réalité : le système poutinien de gouvernement se résume à un cercle d'obligés, courtisans, mafieux, prévaricateurs de toutes sortes, qui tourne autour de ce « soleil de la pensée », surnom que ses thuriféraires donnaient jadis au président Mao. Quand ses opposants ne sont pas assassinés, comme Boris Nemtsov, ils croupissent en prison, comme Alexeï Navalny. Le président russe est du genre à ne supporter ni la contradiction ni l'approbation. Finira-t-il un jour par entendre raison ?

Poutine reprend mot pour mot le vieux discours soviétique. S'il est passé à l'attaque, c'est parce qu'il se sentait encerclé, pardi ! Lundi, frisant le ridicule, dans un déni total de la réalité, il a tenu un « discours paranoïaque » - c'est l'Élysée qui le dit - pour justifier son action. À l'en croire, l'Ukraine menacerait la sécurité de la Russie ; elle serait même en train de se doter de l'arme nucléaire ! Même si Poutine dit redouter qu'elle rejoigne l'Otan, c'est surtout sa rapacité territoriale qui semble guider ses pas. Veut-il dévorer la seule partie russophone de l'Ukraine ou bien, à terme, le pays tout entier ?

Rien ne permet de dire que le président russe sera, un jour, rassasié. Demain, la faim venant en mangeant, il lui faudra peut-être la Moldavie, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie et bien d'autres pays qui ont le malheur d'être d'anciennes républiques ou colonies soviétiques. Bien malgré lui, il a réussi, avec l'affaire ukrainienne, à réveiller l'Europe, sinon à ressusciter l'Otan. Il a même donné tout son sens au combat pour l'« autonomie stratégique » des Vingt-Sept que mène Emmanuel Macron sur notre Vieux Continent pour qu'ils puissent un jour décider eux-mêmes de leur destin.

Mettre sur les rails la défense européenne qui nous manque tant aujourd'hui, voilà le défi qu'il faut relever. Une force digne de ce nom éviterait, à l'avenir, que des pays comme la Turquie ou la Biélorussie se fassent les pieds sur nous autres Européens. Quand Macron discute avec Poutine, il a beau déployer des trésors d'intelligence, le rapport de force est déséquilibré : ils ne parlent pas à armes égales. Il n'y a pas de diplomatie qui tienne si des soldats et des canons ne sont pas derrière, pour le cas où.

Ivre de son pouvoir alors que l'Occident est en pleine déliquescence, Poutine n'a fait qu'écouter sa volonté de puissance qui lui disait d'avancer ses pions. Mais une victoire militaire en Ukraine ne pourra pas masquer l'échec économique d'une Russie qui, avec une population de 146 millions d'habitants et la superficie la plus vaste de la planète, dispose d'une richesse nationale à peine plus élevée que celle de l'Espagne !

Pathétiques sont le concert de protestation de l'Occident et ses annonces de sanctions économiques après ce nouveau coup de force de Poutine. Il est temps que l'Amérique comprenne que ce n'est pas en braillant qu'elle œuvrera pour la paix du monde. C'est en se réarmant moralement et en montrant sa force face à la hargne belliqueuse du tsar, avant de pouvoir peut-être renouer, un jour, le dialogue avec lui. Quant à l'Europe, elle ne peut rester indéfiniment un nain politique et militaire. « Le pape, combien de divisions ? » demandait Staline à Laval, qui, en 1935, s'inquiétait des persécutions antireligieuses en Union soviétique. Notre insane faiblesse ne peut qu'aiguiser les appétits, appeler au crime…

La tragédie ukrainienne a finalement été le fruit pourri de nos déficiences, de nos démissions. À nous de nous ressaisir et d'exister enfin ! §